Malheureusement, ce terme est très utilisé aujourd'hui ! Notre monde nous confronte à de la violence traumatique à grande échelle (terrorisme, conflits armés...). Avec l'accélération de l'information par le biais des nouveaux moyens de communication, les médias nous inondent d'actes de violence en tout genre : agressions physiques, viols, abus sexuels, arrestations musclées... Face à cette avalanche, j'ai eu besoin de faire le clair sur le sujet peut-être pour retrouver un peu de rationalité, de recul, pour sortir d'une espèce de confusion qui banalise et met tout au même niveau. A quoi renvoie ce terme ? D'où vient-il ? Que nous apprend l'histoire de son évolution ? Quels sont les apports des neurosciences dans ce domaine ? ...
Le traumatisme psychique : éléments de définition
De nombreuses définitions existent selon le champ disciplinaire consulté : médical, psychiatrique, psychanalytique...
D'un point de vue lexical dans un premier temps, il est intéressant de distinguer "trauma" et "traumatisme" qui peuvent être utilisés de manière confuse l'un pour l'autre.
Le terme "trauma" provient du Grec ancien et signifie "blessure". C'est d'ailleurs le sens premier qui lui est donné par le dictionnaire Le Robert, pour lequel, le trauma est bien une lésion, une blessure produite par un impact. Il renvoie par contre, en seconde acception (critiquée), au traumatisme psychologique.
Le mot "traumatisme ", tout d'abord utilisé en chirurgie, a maintenu le sens de blessure. Selon Louis Crocq (Trauma et résilience, chapitre 16, 2005), "Transposé à la pathologie psychiatrique, sous les vocables "traumatisme psychique" et "trauma", il se rapporte aux "blessés psychiques", qui se distinguent des autres malades psychiatriques par le caractère de violence et d'effraction de leur étio-pathogénie". Alors "trauma" et "traumatisme" ont la même signification ?
Le dictionnaire Le Robert donne au terme "traumatisme" quant à lui les deux sens suivants : ensemble des troubles provoqués dans l'organisme par une lésion, une blessure grave / choc émotionnel très violent. En premier sens, apparaît alors une nouvelle acception du terme "traumatisme" mettant l'accent sur les conséquences du trauma.
Pour B. Olliac (Evénements de vie, traumatismes psychiques et tentative de suicide chez l'enfant et l'adolescent, 2013, p. 27), le traumatisme renverrait effectivement plutôt aux conséquences "sur l'ensemble de l'organisme d'une lésion résultant d'une violence extrême", en même temps il définit le traumatisme psychique comme suit "un évènement de vie du sujet qui se définit par son intensité, l'incapacité où se trouve le sujet d'y répondre de façon adéquate, le bouleversement et les effets pathogènes durables qu'il provoque dans l'organisation psychique".
Il est intéressant de voir que ce terme n'est pas facile à saisir et qu'il peut renvoyer aussi bien à l'impact violent, à l'expérience difficile à laquelle est confrontée le sujet, qu'à ses conséquences sur le sujet. Ceci nous sera utile pour comprendre plus bas le concept d'Etat de Stress Post-Traumatique qui est apparu plus récemment.
Pour la psychanalyse, il y a traumatisme psychique lorsque le sujet fait "une expérience d'absence de secours dans les parties du Moi qui doivent faire face à une accumulation d'excitations, qu'elle soit d'origine externe ou interne" (Société Psychanalytique de Paris). Il est confronté à une expérience effroyable qui le déborde, qu'il ne parvient pas à penser, à symboliser car elle le met face à un vécu de discontinuité de lui-même alors qu'il n'y est pas préparé.
Selon Olliac (2013, p. 27), Crocq définit le traumatisme psychique comme suit : "un phénomène d'effraction du psychisme et de débordement de ses défenses par les excitations violentes afférentes à la survenue d'un événement agressant ou menaçant pour la vie ou l'intégrité (physique ou psychique) d'un individu, qui y est exposé comme victime, témoin ou acteur. Le phénomène de traumatisme psychique donne lieu, subjectivement à une expérience vécue d'effroi, d'horreur et d'absence de secours (Crocq, 2001). Il propose d'utiliser le terme de syndrome psychotraumatique pour désigner les séquelles dues au traumatisme psychique et regroupant ainsi les états des phases immédiate, post-immédiate et différée".
E. Josse (Le traumatisme psychique : Quelques repères notionnels, 2007) précise que l'événement traumatisant peut être majeur et massif, qu'il s'agisse d'actes intentionnels, d'événements accidentels ou de catastrophes naturelles. Mais il peut aussi être mineur et représenter un aspect traumatique en venant s'ajouter à l'accumulation d'événements stressants ou difficiles. Ou encore, il peut venir rappeler et activer la charge traumatique d'un événement ancien. Pour cette auteure, ne pas avoir résolu un deuil significatif peut aussi constituer le terreau d'une symptomatologie traumatique.
Les traumatismes peuvent être de plusieurs types :
- de type I : un événement singulier et récent (ex : incendie, accident automobile...), (L.C. Terr, 1991)
- de type II : un événement du passé qui s'est répété ou a menacé de se reproduire à tout instant durant longtemps (ex : agression sexuelle, violence familiale, guerre...), (L.C. Terr, 1991)
- de type III : des événements multiples, envahissants et violents qui ont duré longtemps (ex : la torture, les camps de prisonniers de guerre et de concentration...), (E.P. Salomon et K.M. Heide, 1999)
- de type IV : les traumatismes en cours (E. Josse, 2004).
J. Herman (1997) introduit la distinction entre traumatismes simples (type I) et complexes (type III).
Le traumatisme psychique vu à travers les âges
Selon Croq (2005), on retrouve des réactions psychotraumatiques aussi loin que remonte l'humanité. Les premiers témoignages datent de plus de deux mille ans avant Jésus-Christ relatant l'épopée de Gilgamesh et de l'Iliade, les héros étant confrontés à la violence des combats et à la mort. Des descriptions historiques de ce genre apparaissent dans l'Antiquité faisant même état pour certaines de rêves de bataille chez les guerriers. L'époque médiévale et les guerres de religion ont également laissé des traces de réactions psychotraumatiques (Agrippa d'Aubigné, Schakespeare, Pascal).
C'est au début du XIXème siècle, suite aux événements de la Révolution et aux guerres de l'Empire que le monde médical commence à s'intéresser à ce type de manifestations. Pinel propose le terme de "névroses de la circulation et de la respiration" (1808). Larrey, Percy et Desgenettes (médecins des armées napoléoniennes) vont parler de "syndrome du vent du boulet" pour qualifier les états des combattants commotionnés par un boulet qui les a frôlés.
C'est à la moitié du XIXème siècle que des scientifiques français et anglais étudient les réactions post-traumatiques apparues à la suite d'accidents ferroviaires spectaculaires utilisant pour les qualifier, le vocable de "Railway spine" (étiologie spinale, Ericksen) puis de "Railway brain" (étiologie cérébrale, Walton et Putnam). Pour P. Pignol (Préhistoire de la psychotraumatologie. Les premiers modèles du traumatisme (1862-1884), 2014), le concept de traumatisme en psychiatrie est né alors en lien avec la multiplication de ces accidents et avec l'apparition de "l'accident" comme nouvelle entité sociale et juridique. Il précise : "...il a fallu que se pose avec acuité un problème d'ordre juridique et in fine sociétal - celui de la reconnaissance et de l'indemnisation des troubles consécutifs à certains de ceux-ci chez leurs survivants -, pour que la médecine accordât un intérêt particulier à cette clinique".
Il faut attendre 1888 pour que l'allemand Oppenheim crée le terme diagnostique de "névrose traumatique" (souvenir obsédant de l'événement traumatique, troubles du sommeil, cauchemars de reviviscence, phobies électives, labilité émotionnelle). Elle est due selon lui à l'effroi qui provoque un ébranlement psychique. Janet réalise des travaux qui mettent à jour l'inconscient traumatique, travaux qui seront repris et développés ensuite par Freud.
Le XXème siècle a été le théâtre de guerres et de destructions massives : les guerres post-coloniales, les deux conflits mondiaux et la guerre du Vietnam, terrains de multiples traumatismes. Selon Josse (2007), cette période va être féconde d'études théoriques et d'expérimentations pratiques "Sigmund Freud, Pierre Janet, Sandor Férenczi et Otto Fénichel notamment enrichissent les connaissances par leurs réflexions sur les processus psychiques en jeu dans les réactions traumatiques". De l'analyse sémiologique des troubles rencontrés sur le terrain, de nouveaux vocables apparaissent : "névrose de guerre" (Honigman, 1908), "l'obusite" pour les français, "névrose de guérilla" (Crocq, 1999). En 1980, pour prendre en compte le nombre conséquent de troubles traumatiques durables manifestés par les vétérans du Vietnam, le DSM-III (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders), nosographie psychiatrique américaine, introduit un trouble psychiatrique nommé "Post-Traumatic Stress Disorder" (PSTD) traduit en français par Etat de Stress Post Traumatique ou ESPT. Pour Croq (2005), c'est une manière de réintroduire la névrose traumatique du catalogue dont elle avait été écartée après la première guerre mondiale (DSM-I,1952) en lui donnant un nom sans résonance freudienne.
L'apport des neurosciences pour comprendre et soigner le traumatisme psychique
Les neurosciences nous permettent de mieux comprendre le système du stress.
Je reprends dans un premier temps quelques repères neuro-anatomiques afin d'éclairer mon propos. Dans le cerveau, l'amygdale (centre des émotions) est en lien avec l'hippocampe (centre de la mémoire). Le thalamus est le premier relais des entrées sensorielles vers le néocortex qui assure un décodage plus fin. Le système nerveux végétatif est composé de deux parties : l'orthosympathique qui excite, stimule (ex : dilate la pupille, accélère le coeur...), et le parasympathique qui inhibe, ralentit le système, équilibre la partie précédente (ex : rétrécit la pupille, ralentit le coeur...).
Pour J. LeDoux (1997), il y a deux circuits de la peur : l'un qui est court qui passe directement du thalamus à l’amygdale (short route / 12 ms, voie directe rapide et peu précise) et l'autre qui est un circuit long (long route / 24 ms) qui interpose le cortex entre le thalamus et l’amygdale, le néocortex étant quant à lui en lien avec l'hippocampe puis avec l'amygdale. Ces deux voies fonctionnent en parallèle. Il y a une première réponse comportementale de l'émotion déclenchée d'abord par la voie courte qui est ensuite complétée par la voie longue. L'amygdale est alors stimulée deux fois, d'abord par le thalamus puis par le cortex sensoriel qui va maintenir ou freiner l'action de l'amygdale sur les réactions corporelles de la peur (accélération du pouls, pâleur, sudation, immobilisation du corps).
Selon F. Lotstra (Le cerveau émotionnel ou la neuroanatomie des émotions, 2002) "LeDoux (1994) nous donne l’exemple du promeneur dans un bois, percevant via son thalamus, l’image floue d’un bâton qui pourrait s’avérer être un serpent; le thalamus active l’amygdale qui enclenche a son tour les réactions corporelles de la peur. En outre le thalamus envoie l’information au cortex visuel qui décrypte de façon détaillée l’image. S’il s’avère qu’il s’agit véritablement d’un serpent, le cortex visuel renforce la fonction amygdalienne, et les manifestations corporelles de la peur sont maintenues; la réaction de fuite ou de défense est mobilisée. A contrario, si le cortex visuel décode de façon précise l’image du bâton, il freine la fonction amygdalienne et toutes les expressions corporelles de la peur vont dès lors s’estomper. Au niveau de la survie de l’espèce, il vaut mieux prendre un bâton pour un serpent que subir la morsure d’un serpent identifié avec quelques millisecondes de retard. Douze millisecondes sont nécessaires pour qu’une stimulation acoustique atteigne l’amygdale chez le rat; le détour par le cortex pour analyse fine, exige le double de temps. La voie courte thalamus-amygdale permet ainsi d’assurer des réactions de survie, de fuite et de défense dans un délai très court au détriment d’informations floues; la voie longue thalamus- cortex-amygdale assure une perception précise du stimulus mais nécessite un prolongement du temps de réaction qui peut être fatal en cas de danger."
Ainsi, LeDoux illustre comment l’évolution des liens corps-cerveau au cours du processus émotionnel détermine les premières phases de la réaction du sujet. Selon lui, en cas de danger, il y a trois réactions possibles : la lutte (Fight), la fuite (Flight) et l'immobilisation (Freeze). C'est la théorie des trois F. Le freezing, où l'énergie est bloquée dans le corps (immobilisation via le parasympathique), est la réaction la plus délétère et c'est celle qui a le plus de risque de générer un Trouble de Stress Post Traumatique.
Selon Selye (1946), lorsqu'un être vivant subit une agression extérieure, il présente un ensemble de réactions biologiques dont l'objectif est de lui permettre de s'adapter à son environnement. C'est le syndrome général d'adaptation. Il comprend trois phases : l'alarme (mobilisation de la force, des sources d'énergie, on peut réagir très vite, ce sont les trois F de LeDoux), la résistance (réaction hormonale plus longue, régulation du stress), l'épuisement (si le stress perdure, conséquences nombreuses sur le plan biologique, l'amygdale n'arrive plus à calmer, l'anxiété augmente (Roosendal et coll., 2009)). Plus le stress augmente, plus il dure, et moins les structures régulatrices fonctionnent et plus il est difficile d'arrêter le phénomène.
Le Trouble de stress aigu est défini par le DSM-V comme suit : exposition ou menace de mort, blessure, agression sexuelle, en tant qu'acteur, témoin direct ou proche (indirect) avec des symptômes durant jusqu'à 1 mois après le traumatisme (reviviscence du trauma, évitement des personnes, des lieux associés au trauma, amnésie partielle du trauma, croyances négatives, hypervigilance etc...) témoignant d'une détresse cliniquement significative ou d'une altération du fonctionnement social ou professionnel. Si ces symptômes dépassent le mois, le TSPT est diagnostiqué.
Il y a un impact du traumatisme sur la descendance. Le gène NR3C1 a été identifié en lien avec des situations d'abus dans l'enfance (McGowan, 2009). Ce même gêne est inactivé sur trois générations dans le cas d'inceste (Giacobino, 2012) et chez les descendants de survivants de l'holocauste (Yehuda, 2014).
Le TSPT modifie l'anatomie et la fonction des structures cérébrales. L'insula, impliquée dans le traumatisme, est le lieu des codifications des sensations internes et des douleurs physiques ou psychiques.
Le recours aux SBA (stimulations bilatérales alternées quelles soient auditives, tactiles ou visuelles) dans les thérapies tels que l'EMDR ou la Thérapie MOSAIC permet d'augmenter la connectivité entre les structures cérébrales impliquées dans la mémoire, les émotions, la conscience de soi, les croyances sur soi, et entre plusieurs structures impliquées dans les émotions et les sensations. Elles modifient la façon dont elles se parlent. Selon la loi de Hebb (1949), lorsque des neurones s'excitent ensemble (synchronisation), ils se mettent à communiquer. Cela favorise le transfert d'informations. Via la résonance stochastique (l'augmentation de la détectabilité du signal), il y a atteinte du seuil de déclenchement. Ainsi, les SBA augmentent le seuil de détectabilité, les neurones qui ne déchargeaient pas électriquement, se mettent à le faire.
Ce phénomène permet dans l'EMDR d'enrichir le réseau traumatique de base. La personne arrive à intégrer la réalité selon laquelle la situation traumatique est terminée, elle est maintenant en sécurité. Il n'y a plus de danger, l'amygdale n'a plus de raisons de s'activer. Durant la thérapie MOSAIC, le réseau traumatique est informé qu'il y a un réseau solution. On fait se rencontrer ces deux réseaux via les SBA.