Les évolutions du monde du travail se sont assorties d'une instabilité croissante des situations d'emploi et d'un nombre de plus en plus important des mobilités qu'elles aient lieu entre différents statuts sur le marché du travail (actif, inactif, chômeur, salarié) ou entre différents emplois au sein d’entreprises distinctes ou de la même entreprise (Cereq, 2006). Les parcours professionnels sont devenus de moins en moins linéaires. Du passage entre l'école et le marché du travail ou celui de l'emploi à la retraite, de nouvelles formes de transitions se sont développées : de chômage, de formation, de reconversion... Qu'est-ce que la transition signifie sur le plan professionnel et en quoi elle consiste pour le sujet ? Qu'est-ce que les reconversions professionnelles
La transition : de la notion au concept

Selon le dictionnaire Larousse, la transition renvoie à la notion de passage dans différentes acceptions. Il s’agit soit d’un passage d’un état à un autre, soit d’un état, degré intermédiaire, passage progressif entre deux états, deux situations, soit d’un passage graduel d’une idée ou d’un développement à un autre. Elle suppose donc une inscription dans le temps, dans l’espace et des transformations. Cette notion est utilisée dans des disciplines variées (transition écologique, démographique, sociale, etc …). Elle vient nourrir la création de concepts dans différents champs disciplinaires qui vont permettre de comprendre une idée.
Winnicott (pédiatre et psychanalyste britannique) va pour sa part utiliser et explorer cette notion de transition pour comprendre les processus du développement de l’enfant. Il a créé le concept d’objet transitionnel. Il présente le jeu comme une façon de créer un espace intermédiaire (aire intermédiaire d’expérience), entre le dehors et le dedans, et à l’origine de l’expérience culturelle, à condition que ce jeu soit créatif (Winnicott, 1971). L’objet transitionnel (le sein, le doudou, la peluche …) va permettre à l’enfant de sortir de l’état de fusion d’avec sa mère jusqu’à aboutir à une perception plus objective du monde.
Pour Balleux et Pérez-Roux (2013), professeures en sciences de l’éducation, la transition est un concept attracteur utilisé par des disciplines diverses pour étudier les passages de toutes sortes : de l’enfance à l’adolescence, de l’école au travail, etc … Selon elles, deux approches se côtoient, l’une essaie de baliser un temps donné, l’autre est liée aux processus des sujets et aux remaniements identitaires. Elles considèrent que la transition est un espace-temps de passage, au sein d’un changement (assumé/abouti ou non), qui suppose des stratégies d’adaptation pour gérer les éléments de rupture et d’aménagements de continuités.
Plusieurs auteurs du champ de la psychologie sociale permettent de préciser cette notion :
Baubion-Broye et Hajjar (1998) considèrent que les transitions psycho-sociales sont des moments charnières et de passage caractérisés par des transformations ou des ruptures dans les pratiques de la relation et les représentations des individus. Elles peuvent être des moments de blocage, de crise, mais aussi de créativité, de développement. Il y a nécessité pour eux d’étudier la socialisation, et les transitions qui en scandent les dynamiques, comme un ensemble de processus actifs de construction de la personne. Ils font l’hypothèse d’une socialisation pluri-déterminée, au cours de laquelle les sujets-personnes ont un rôle actif et constructeur dans leurs propres changements et ceux des structures sociales.
Pour Dupuy et Le Blanc (2001), ces situations intermédiaires entre deux périodes distinctes, sont nombreuses et diversifiées tout au long de la vie. Devant la multiplicité des formes de transition, ils en ont identifié cinq indicateurs :
- la transition est un processus développemental (vecteur potentiel de changement),
- elle ne peut être réduite au changement, elle articule continuité et rupture,
- elle amène à une distanciation voire une rupture avec les logiques de la reproduction sociale,
- elle active chez les individus la mise en oeuvre de stratégies de régulation,
- elle entraîne la superposition de cadres de références anciens et de modes de pensée et d’action émergents, qui viennent satisfaire de nouvelles fonctions identitaires.
Le concept de transition professionnelle

Le terme de transition professionnelle est apparu dans les années 1980 avec les travaux de J. Rose sur l’insertion des jeunes (Kaddouri & Hinault, 2014). Cette thématique est ancienne et a été explorée dans différentes disciplines : la sociologie, la science de l’éducation, la didactique professionnelle, la psychologie du travail. Elle a connu ensuite un renouveau en lien avec l’évolution des parcours professionnels qui ne sont plus linéaires comme ils ont pu l’être par le passé. Si la transition renvoyait essentiellement alors au passage de l’école au monde du travail et à celui du travail à la retraite, elle fait écho aujourd’hui à des moments plus diversifiés du fait de la situation de plus en plus complexe des parcours professionnels sur le marché du travail. Les parcours professionnels sont de plus en plus éclatés.
Pour les Sciences de l'éducation, les situations de transition peuvent évoquer des moments différents (Perez-Roux, 2014) : passage de l’école à l’emploi, de la formation à l’emploi, phases d’insertion dans de nouveaux contextes de travail, périodes de réorientation professionnelle etc …
Balleux et Perez-Roux (2013) proposent une approche multidimensionnelle du concept de transition professionnelle qui permet de mieux comprendre l’arrière-plan de ce que peuvent vivre les individus durant ces périodes :
- la dimension socio-économique : ces transitions sont en lien direct avec les évolutions de la société. Les individus confrontés à des mutations socio-économiques et culturelles réagissent en fonction des attentes du monde professionnel et en fonction d’eux-mêmes.
- la dimension socio-organisationnelle : en transition professionnelle se mettent en jeu des processus de socialisation. Dans ces situations, les individus développent des stratégies.
Elles reprennent les apports de la psychologie sociale et abordent les processus individuels à l’oeuvre lors des transitions professionnelles dans deux perspectives théoriques en partie concurrentes : la perspective développementale (*1) et la perspective interactionniste (*2).
*1 Les transitions sont vues comme des périodes de passage fondamentales et normales dans le développement humain. Elles sont considérées comme des phases de co-construction entre individu et environnement passant par des moments d’épreuve ou de crise.
*2 L’individu participe de façon active au changement social. Il utilise la transition pour faire ses propres choix. La transition est envisagée comme une phase « de reconstruction active des valeurs et des normes fondant la reconnaissance et la valorisation de soi et d’autrui » (Dupuy & Le Blanc, 2001, p. 68). Les transitions sont vues « comme des espaces-temps de co-construction du changement individuel et social » (Dupuy & Le Blanc, 2001, p. 74).
Pour Masdonati et Zittoun (2012, p. 2-3), la transition professionnelle renvoie à des phénomènes différents : « l'entrée et la sortie définitive d'une carrière professionnelle (le premier emploi, la retraite), l'entrée et la sortie temporaire de l'espace professionnel (arrêt maternité, retour aux études, alternance formation-emploi), le changement de fonction ou d'emploi en cours de carrière dans la même profession ou dans une profession différente, les changements personnels issus des transformations de l'entreprise ou du changement du lieu de travail et enfin, l'alternance entre périodes d'emploi et périodes de chômage ».
Pour Kaddouri (Kaddouri & Hinault, 2014), la transition professionnelle est un entre-deux. L’individu est entre une situation passée et une en devenir plus ou moins incertaine. Il est important pour lui de revenir sur le vécu subjectif de la personne pour comprendre ce qui se joue dans cette transition. La personne peut être en « tension entre » ou en « tension vers ».
Dans le champ de la psychologie sociale, selon Dupuy, Mègemont et Cazals-Ferré (2016, p. 414) « Les transitions professionnelles désignent chez les individus au travail l’ensemble des processus psychosociaux d’élaboration des changements dont ils font l’expérience, de re-signification et de réorganisation de leurs conduites et de leurs identités, tout au long de leur parcours professionnel ». Cette définition met l’accent sur le fait que la transition ne renvoie pas qu’à l’interstice mais aussi à tout le processus d’élaboration qui y est mobilisé. Nous entrons davantage dans l’épaisseur de la transition et nous nous rapprochons du point de vue suivant.
La psychologie du travail va quant à elle s’attacher à définir avec précision la venue d’une transition professionnelle au travers du filtre de la subjectivité du sujet : transition professionnelle subie, contrainte, choisie, voulue etc… Comment la personne se situe-t-elle ? Comment va-t-elle faire subjectivement pour faire sa nouvelle place ?… Elle cherche également à comprendre ce que la transition vient bousculer chez l’individu dans une approche systémique (dans l’histoire du sujet par rapport à autrui, à son histoire personnelle, aux outils etc …) afin de pouvoir identifier les marges de manoeuvre à la fois individuelles et collectives dans des contextes plus ou moins contraignants (approche développementale). Enfin, il s’agit de voir ce qui se passe dans cet interstice de l’avant et de l’après (articulation ? rupture ? …). Le moment de transition professionnel est important car il peut orienter et avoir une incidence conséquente sur les processus de développement professionnel et personnel. La transition professionnelle implique effectivement des remaniements identitaires conséquents.
Des passages qui ne sont pas tranquilles

Ces moments de passages viennent impacter le sujet sur le plan psychique en lui demandant un travail qui est exigeant. Se reconvertir professionnellement par exemple est un moment sensible sur le plan psycho-social durant lequel la personne est fragilisée. Mais, il est aussi l'occasion de se développer et de développer son activité.
En effet, l’identité professionnelle est déstabilisée dans ce passage d’un métier à un autre. En cas de reconversion professionnelle choisie, ce moment de transition est un temps de reconfiguration identitaire éprouvant même s’il est aussi une occasion de développement de l’identité professionnelle. Quand la reconversion est imposée dans les organisations du travail contemporaines, ce travail de mue identitaire est encore plus important et délicat en particulier pour les travailleurs dits « précaires » plus exposés. Et quand l’identité professionnelle y est trop fortement déstabilisée, cette reconversion contrainte a des effets délétères possibles sur l’identité personnelle (développement de pathologies).
Débuter dans un nouveau métier est difficile et source de souffrance liée à la limitation de son pouvoir d’agir face à des tâches que l'on ne maîtrise par encore. Mais le travail est véritablement un enjeu de taille pour les personnes en reconversion, par l’inscription dans le social qu’il permet et la possibilité qu’il offre de pouvoir agir sur soi-même et le monde (santé).