Fabienne MOTTO EI
Psychologue à Meyzieu

Quelles ressources en cas de souffrance au travail ?


Lorsque je rencontre des personnes en grande souffrance en lien avec le travail qui me racontent ce qu'elles vivent ou ont vécu au travail, je peux constater que souvent il y a une espèce d'enfermement dans les difficultés vécues, une forme d'isolement, qui contribuent à ce que la situation délétère éprouvée au travail perdure et à ce que l'état de santé continue à se dégrader.

Cet article veut alerter contre des réactions fréquentes qui ont tendance à minimiser et à taire ce que le rapport au travail fait vivre de compliqué et qui diffèrent la prise en compte de notre état aujourd'hui, ici et maintenant "Ca va aller !", "Ca va passer !". Ces réactions sont source d'accumulation de rancoeurs, de ressentiments, de conflits larvés, de solitude face à tous les dilemmes que nous devons affronter au travail au quotidien, lorsqu'ils ne sont pas parlés. De plus, les personnes en souffrance sont souvent perdues quant au comment faire dans cette situation "A qui demander de l'aide ?". De ce fait, cela peut durer très longtemps, TROP longtemps et le corps se met à parler de plus en plus fort jusqu'à parfois connaître des lésions irréversibles !

Mon objectif est ici d'une part d'inciter les personnes qui se trouvent dans cette situation, à ouvrir sur les autres, à parler, à ne pas rester seul(e) avec ses difficultés (famille, amis, collègues, professionnels du soin, de la santé au travail...) dès le premier signal du corps (boule au ventre le matin avant d'aller travailler, mal au dos, mal à la tête...). D'autre part, je cherche à donner des points de repère sur les acteurs concernés par la souffrance psychique au travail qui peuvent constituer une ressource en cas de souffrance au travail.

S'ouvrir à l'autre c'est ne plus être seul et c'est se donner la possibilité de voir les choses autrement, de sortir de cet enfermement-impasse qui tue progressivement. Cela remet de la VIE.

Petit état des lieux du travail en France

Le monde du travail a connu des mutations très importantes à partir des années 1980. Les organisations qui ont évolué de façon conséquente à la fois sur le plan socio-économique, technique et socio-organisationnelle (Sarnin, 2016) se caractérisent par une approche gestionnaire (recours à la flexibilité du travail et à celle de l'emploi) qui coïncide avec une augmentation importante des troubles psychopathologiques liés au travail (Dejours, 2016).

Cette évolution de l'organisation du travail crée de la souffrance au travail en allant dans le sens de toujours plus de productivité, de compétitivité, sans prendre suffisamment en compte le facteur humain. Le coût humain en est exorbitant : détresse psychique, TMS (Troubles musculo squelettiques) en pleine explosion, burn-out, suicides, répression délétère de ses émotions, pression morale trop forte. La crise sanitaire du covid a accentué ce phénomène.

Quelques chiffres de l'ampleur de la souffrance au travail. Selon une étude de la Dares (Conflits de valeur au travail : qui est concerné et quels liens pour la santé ? Mai 2021), 47% des salariés français sont en souffrance éthique au travail (réaliser un travail contraire à ses valeurs) avec un risque accru de développer des problèmes de santé (problèmes de sommeil, symptôme dépressif, trouble anxieux généralisé ou épisode dépressif majeur). Selon la Dares :  "Ainsi, le risque relatif de déclarer un mauvais état de santé est 2 fois plus élevé pour un individu « surexposé aux conflits de valeurs » que pour un individu qui est « peu ou pas exposé ».". Les psychologues du travail savent bien combien le fait de ne pas pouvoir faire un travail de qualité (dans lequel on puisse se reconnaître) impacte de façon délétère la santé des travailleurs.

Selon Marie Pezé (La souffrance au travail, 21-08-2022), les enquêtes SUMER (Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels) montrent bien également tous les 6 ans la dégradation de la santé des salariés en France ! Tout cela est donc bien su et connu.

La loi a évolué dans le sens d'une protection grandissante de la protection de la santé physique et mentale des travailleurs. Selon l'article L4121 l'employeur doit prendre "... les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.". L'employeur a également une obligation de résultat. Selon la Cour de cassation (5 mars 2008, n° 06-45.888) : "L'employeur est tenu, à l'égard de son personnel, d'une obligation de sécurité de résultat qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs".

Et pourtant rien ne change...

Les acteurs concernés par la souffrance psychique au travail

Le médecin du travail :

Pour Dejours et Gernet (Psychopathologie du travail, 2016), le médecin du travail est un acteur clé  en matière de santé au travail. Il a une mission de prévention et de conseil (de l'employeur, du salarié, des représentants du personnel). Afin d'élucider les rapports entre santé mentale et travail, il peut procéder à l'analyse de quatre dimensions (V. Arnaudo, 2008) : la santé individuelle, le travail (activité réelle, changements organisationnels), la dimension du collectif de travail, l'histoire du collectif de travail (modifications de l'organisation du travail).

Selon ces auteurs, dans le dispositif de veille médicale en santé mentale au travail, il joue un rôle de mise en visibilité des problèmes de santé repérés au sein d'une organisation du travail donnée. Il peut à ce titre recourir à l'alerte médicale afin de pouvoir mettre en débat des questions relatives à l'organisation du travail. Enfin, il peut formuler un avis d'inaptitude qui permet de mettre fin à la situation de travail délétère (arrêt maladie temporaire) et de réfléchir aux meilleurs solutions pour la suite.

Mais, son action s'inscrit dans le cadre des rapports sociaux, ce qui peut le placer dans une position délicate. Il intervient au sein d'une entreprise ou dans des services interentreprises. On peut s'interroger sur sa marge de manoeuvre réelle dans telle ou telle organisation.

Le Comité Social Economique (CSE) :

Le CSE est l’instance représentative du personnel en entreprise. Il remplace depuis 2020 les anciennes instances (DP, CE et CHSCT). Ses rôles et pouvoirs varient selon la taille de l’entreprise.  L'article L. 2312-9 du code du travail définit ses attributions en matière de santé et de sécurité. Son pouvoir n'est que consultatif. Il dispose cependant d'un droit d'alerte. Dans les entreprises de plus de 300 salariés, une CSSCT (commission santé, sécurité et conditions de travail) est obligatoire.

L’article L. 2312-59 du code du travail  dispose que le membre du CSE doit immédiatement saisir l’employeur : "Si un membre de la délégation du personnel au comité social et économique constate, notamment par l'intermédiaire d'un travailleur, qu'il existe une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l'entreprise qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché, il en saisit immédiatement l'employeur. Cette atteinte peut notamment résulter de faits de harcèlement sexuel ou moral ou de toute mesure discriminatoire en matière d'embauche, de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de classification, de qualification, de promotion professionnelle, de mutation, de renouvellement de contrat, de sanction ou de licenciement."  Si aucune solution n’est trouvée avec l’employeur, il peut également saisir le conseil de Prud’hommes.

Enfin, le CSE peut demander l'assistance d'un expert dans certains cas de figure (Article L. 2315-96 du code du travail).

Les syndicats :

Leur rôle est l'étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu'individuels, des personnes exerçant une activité professionnelle (Article  L. 2131-1 – Code du travail). Lorsqu'un délégué syndical a connaissance d'une situation à risque il dispose de plusieurs pouvoirs (alerte de l'employeur, soutien du salarié, information du CSE/CSSCT, proposition d'actions, saisie  Inspection du travail, justice, médecine du travail).

Le chef d'entreprise ou d'établissement :

L'Article L. 4121-1 du code du travail cité au-dessus imprime dans la loi le fait que la santé physique et mentale des travailleurs est de la responsabilité du chef d'entreprise. A ce titre, il doit  respecter un certain nombre d'obligations.

Dejours et Gernet (2016) attire l'attention sur le fait que les dispositifs de formation et de prévention mis en place par les chefs d'établissement ne sont pas suffisamment efficaces "... s'ils ne sont pas référés à l'organisation du travail et à la délibération sur le travail". Il paraît également essentiel que les dirigeants d'entreprise soient éduqués sur ce qu'est le travail réel et les questions d'organisation du travail.

Les membres des ressources humaines :

Dejours et Gernet (2016) font remarquer que leur action semble souvent limitée à l'enregistrement des situations problématiques des salariés "... en raison de leur engagement dans les questions relatives à la "gestion" des aspects matériels du travail et de la politique de l'emploi, au service de la performance de l'entreprise".

L'équipe de Souffrance et travail (https://www.souffrance-et-travail.com/travailleurs/qui-fait-quoi/) précise cependant que certaines situations sont cependant incontournables :

  • les cas d’inaptitudes, de TMS, les problèmes de maintien au poste, les incitations ou injonctions des organismes de contrôle ;
  • la dégradation des données santé ou RH.

Dans ces situations, suite aux demandes des salariés (plaintes, témoignages ou écrits), du médecin du travail ou du CSE, le DRH doit réaliser une enquête administrative afin d’établir les responsabilités. Les résultats de ce travail pourront permettre d'apporter des réponses aux dysfonctionnements constatés. Attention cependant, s'il est question de supprimer les risques  à la source (prévention primaire), c'est au chef d'entreprise qu'il faut s'adresser.

L'inspecteur du travail :

Son rôle est de contrôler le respect de l'application des dispositions législatives et réglementaires relatives aux conditions de travail, à la santé et à la sécurité des travailleurs sur leur lieu de travail. Il peut réaliser une enquête dans l'entreprise concernée ou bien interroger l'employeur par écrit. Il dispose également de pouvoirs (observations, mises en demeure, procès-verbaux) pour rappeler l'employeur à l'ordre ou le sanctionner.

Il a également une fonction d'information du public. Dans chaque département, il y a un service de renseignement en droit du travail. Numéro unique de ces services (coût d'un appel local) : 

Téléphone de l'inspection du travail

Les acteurs du soin :

Médecin généraliste, psychologue du travail, psychothérapeute, psychiatre. Mais aussi, médecin inspecteur du travail, médecin conseil de la sécurité sociale, ou encore la médecine agréée dans la fonction publique ou les régimes spéciaux. Je renvoie ici au site Souffrance et travail qui permet de comprendre les différences entre ces différents acteurs (https://www.souffrance-et-travail.com/travailleurs/qui-fait-quoi/).

Les avocats :

Ils sont malheureusement de plus en plus mis à contribution aujourd'hui pour défendre les droits des salariés en souffrance au travail dont le nombre est grandissant. Ils apportent un regard juridique essentiel en permettant une analyse de la situation au regard de la loi. Prise de recul, vision d'ensemble, éclairage sur ses droits et actions possibles, leur intervention va du conseil à l'action en justice.

Des consultations "souffrance au travail" :

Elles se sont développées dans les années 2000. Elles sont situées dans des associations (par exemple, l'association Mots pour maux au travail) ou bien encore dans des services hospitaliers, des services de santé au travail, des institutions de soin ou encore bien sûr en cabinet libéral.

Marie Pezé (psychologue, psychanalyste) a développé un réseau très intéressant et précieux, devenu national, les consultations "souffrance et travail" (www.souffrance-et-travail.com). Il s'agit de consultations multidisciplinaires (psychiatres, médecins du travail, juristes, psychologues, etc...). Selon eux : "Elles permettent d’apporter un avis extérieur complémentaire et une compréhension de ce qui s’est passé, le but étant d’aider le salarié à reprendre le cours de sa vie.".

Des services hospitaliers :

Il existe également des consultations spécialisées pour les travailleurs présentant des troubles psychiques (dépressions, épuisement professionnel, pathologies du harcèlement...) au sein de services hospitaliers de pathologies professionnelles et de réadaptation. La personne est-elle apte au travail ou non ? Autrement dit y-a-t-il danger pour sa santé ou sa sécurité si elle continue à travailler ? Quelle perspective de reclassement dans l'entreprise ou de réorientation dans un nouveau projet professionnel si ce n'est pas possible ?

Enfin, en 2019, PsyPro ouvre ses portes à Lyon. Il s'agit de la première structure proposant des parcours de soins dédiés et complets à des patients atteints de psychopathologies du travail sur la région Auvergne Rhône-Alpes. PsyPro est un hôpital de jour orienté exclusivement sur le soin des psychopathologies du travail (troubles psychiques liés à une activité professionnelle). Il a fait des émules puisque 7 autres centres se sont développés sur le territoire (Grenoble, Reims, Lille, Metz, Amiens, Creil et Paris) réseau complété par l’offre de soins du Centre Annecien de Psychiatrie Ambulatoire.

Soyez le premier à prendre soin de vous !

Quand on est en difficulté, au coeur de la souffrance au travail, il est souvent difficile de prendre du recul. On peut être dans le déni de ses difficultés. Il est particulièrement important de porter sur soi un regard suffisamment bienveillant pour entendre sa propre fatigue, sa détresse, afin de prendre soin de soi. Les maux de votre corps sont aussi là pour vous alerter. Le corps est notre meilleur allié, faut-il encore l'écouter ! Si vous ne le faites pas pour vous-même, personne ne le fera pour vous. A cet endroit-là, vous pouvez être directement acteur de votre santé.

N'hésitez pas à parler de vos difficultés à vos proches ou à des collègues en qui vous avez confiance. Il n'y a que des liens de coopération et de solidarité qui peuvent permettre de garder la tête hors de l'eau en situation professionnelle. Vous pouvez également en parler à tous les acteurs énoncés ci-dessus qui ont tous un rôle à jouer. Si jamais, la personne à laquelle vous vous adressez n'est pas une personne de recours, ne vous découragez pas, persistez à chercher une oreille attentive et bienveillante.

J'entends également beaucoup de personnes en souffrance au travail me dire que se mettre en arrêt de travail était très compliqué pour elles : honte, culpabilité. L'arrêt maladie est un droit qui permet de se poser, de s'extraire de ce qui est difficile en contexte professionnel. S'il vous est prescrit c'est qu'il est justifié. Cela vient signer le fait que vous êtes malade en lien avec le travail. Cet arrêt peut justement vous aider à faire un pas de côté pour analyser votre situation de façon plus objective. C'est le moment de vous faire aider par des professionnels (santé, social, justice) pour penser la suite de votre situation de façon plus sereine.

Le site Souffrance et travail propose un guide pratique pour les travailleurs en souffrance au travail qui peut vous apporter des informations précieuses (https://www.souffrance-et-travail.com/travailleurs/).


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