Fabienne MOTTO EI
Psychologue à Meyzieu
Fabienne MOTTO EI
Psychologue à Meyzieu

Il était une fois... le conte


Je poursuis mon fil sur les médiations thérapeutiques. Après les avoir précédemment définies et avoir abordé leur rôle en psychothérapie, j'ai ensuite écrit plus spécifiquement un article sur les marionnettes comme objet de médiation. Je propose cette fois un article sur le conte qui constitue un objet de médiation particulièrement intéressant.

Le conte : définition, origine, caractéristiques

Les contes font partie de notre environnement dès que nous arrivons au monde.  Ils nous relient au conteur, à celle ou celui qui raconte mais pas que... Ils nous relient également à l'Humanité tout entière par les sujets essentiels qu'ils mettent en scène.

Selon le dictionnaire Larousse, le conte est un "Récit, en général assez court, de faits imaginaires".  Pour Le Robert, il est en premier sens, un "Récit de faits, d'aventures imaginaires, destiné à distraire". En second sens, il est une "Histoire fausse et invraisemblable".

Mais le conte est plus que cela. En effet, le terme conte renvoie à la fois au récit et au genre littéraire qui relate ces récits. Foncièrement narratif, il est historiquement issu d'une tradition orale, récit d'événements de fiction qui ont été transmis oralement de générations en générations. La veillée autour du feu était l'un des moments de la vie sociale très favorable à la circulation des contes, destinés alors, à la fois aux adultes et aux enfants. Avec l'avènement de l'écrit, véritables traces de la mémoire collective, les contes traditionnels sont devenus des textes littéraires (les lais de Marie de France, les légendes et contes celtiques...).

D'un genre très ancien et universel, sans auteurs, ils ont un aspect intemporel. Selon C. Gutfreind (2002) "Si l'origine des contes reste inconnue, ajoutons que les études scientifiques sur le sujet [...] n'ont débuté qu'au XIXème siècle". Il précise également que tous les auteurs consultés sur leur histoire se rejoignent sur le fait qu'ils semblent avoir depuis toujours occupé une place essentielle dans les sociétés. Il ajoute "...le conte populaire de transmission orale est un genre qui a toujours accompagné l'humanité. Et, pour reprendre notre intuition de départ, nous ajouterons qu'il a sans doute aussi de tout temps rempli une fonction thérapeutique, du moins sociale".

Le conte raconte une histoire passée, concernant des personnages, héros ou héroïnes, qui vont vivre des épreuves. Souvent confronté à une situation difficile au début de l'histoire, le héros finit pas triompher (puissance, richesse ou mariage). La plupart du temps, les héros se transforment tout au long du récit, que ce soit physiquement, socialement ou économiquement.

Le conte constitue un genre littéraire très codifié. Il est introduit par "Il était une fois...". Une fois la situation initiale décrite, un élément perturbateur vient la modifier. Des péripéties arrivent alors et s'ensuivent plusieurs actions (les épreuves du héros). Enfin, un élément vient résoudre la situation qui s'arrange.

Dans le conte, nous évoluons dans un monde merveilleux, imaginaire, avec des personnages surnaturels, des objets magiques (baguette...). Le monde des possibles est tout ouvert. Souvent s'y opposent les forces du bien et du mal. L'univers proposé est souvent manichéen avec des personnages tout bons ou tout méchants.

Enfin, les contes peuvent avoir une valeur éducative, permettre d'expliquer le monde, donner des façons de résoudre les problèmes rencontrés dans l'existence.

Petite histoire du conte thérapeutique

Mon objectif ici n'est pas de réaliser une revue de littérature exhaustive des travaux théoriques réalisés sur l'aspect thérapeutique du conte mais de donner quelques points de repère sur la chronologie du conte perçu comme allié thérapeutique. Je vais me baser pour cela surtout sur l'article de Gutfriend (2002) et de Monzani (2005).

Selon Gutfriend, si le rôle cathartique (libérateur) de certains genres littéraires (comme la tragédie par exemple) a été mis en avant au début de notre civilisation (Aristote), les premières références à l'utilisation thérapeutique du conte datent du XIXème siècle et sont plus précisément dues à la psychanalyse. Gutfreind considère cependant que le conte depuis ses origines a joué "un rôle "empirique" d'outil thérapeutique, lequel, après la découverte de la psychanalyse, a commencé à être étudié d'une plus façon plus scientifique".

La psychanalyse aurait dévoilé l'intérêt que le conte pouvait constituer pour notre vie psychique "les contes (mais aussi les mythes, la littérature et l'art en général) offrent des représentations humaines significatives, notamment archaïques, tel l'archaïsme de dévoration" (Gutfriend, 2002).

A la suite de Freud et de ses disciples (Abraham, Roheim, Reik, Jung, Ferenczi...), B. Bettelheim (Psychanalyse des contes de fées, 1976) a réalisé une étude importante sur le rôle crucial des contes de fées dans la vie des enfants. Il a notamment développé l'idée selon laquelle le conte leur offrait une signification aux situations qu'ils ont eu l'occasion de vivre. Le conte peut être une source de maturation pour l'enfant en abordant des situations que l'enfant vit inconsciemment. Via le conte, l'enfant peut surtout transformer en fantasmes représentables des éléments de son inconscient et relancer son imagination.

Selon S. Monzani, le conte a été en 2005 l'objet d'un renouveau d'intérêt scientifique avec le développement dans le domaine de la psychopathologie, de recherches, de théorisations cliniques, et de pratiques thérapeutiques individuelles, groupales. Il souligne l'hétérogénéité de ces travaux tout en précisant leurs points communs quant aux apports du conte "...ses liens avec le sensoriel et l'archaïque, au carrefour de l'intra- et de l'interindividuel, et son rôle essentiel dans la constitution des processus transitionnels et du préconscient."

Les contes constituent un objet de médiation thérapeutique, d'une part de par leur aspect très malléable leur permettant d'être utilisés dans différentes approches théorico-pratiques et auprès de populations variées (enfants en difficulté de symbolisation, personnes âgées en institution...) et d'autre part de par la richesse de leurs contenus (Monzani, 2005).

Pour ceux qui souhaiteraient approfondir le sujet, vous pourrez trouver de nombreuses références théoriques et cliniques dans les deux articles précités et mis en lien.

Quels effets thérapeutiques du conte ?

Alors comment comprendre en quoi le conte peut être un allié thérapeutique ? Un objet de médiation entre l'intérieur et l'extérieur, et entre soi et soi ? En quoi il peut agir et permettre de (re)mettre en route notre imagination (penser, rêver, jouer) ?

Le conte est porteur des questions fondamentales existentielles propres à l'espèce humaine et des réponses possibles. Cela nous renvoie à l'importance du conte dans la tradition populaire comme héritage d'une mémoire collective. On peut sous cet angle voir le conte comme une tentative de traiter les angoisses inhérentes au fonctionnement de la pensée humaine (la vie et la mort, l'homme et la femme, le mystère des origines...). L'enfant (et l'adulte) va pouvoir projeter sur des personnages imaginaires sa souffrance, ses angoisses tout en gardant une certaine distance protectrice.

Le conte peut aider à la création d'un espace transitionnel, espace intermédiaire entre la réalité intérieure (subjective) et la réalité extérieure (la réalité effective ou partagée). Chez certains enfants en difficulté de symbolisation, d'imagination, le conte contribue à la création de cet espace transitionnel. Dans cet espace transitionnel, le sujet via le récit se reconnaît et construit un sens à ce qu'il vit. Selon S. Picard (2002), "Il offre à l'enfant de retrouver des situations émotionnelles proches des siennes, mais sur un autre objet que lui. Le conte est donc, en lui-même, un médiateur de la vie psychique". Ainsi, le conte peut établir un passage entre l'inconscient et la conscience, relancer l'activité du préconscient et de représentation.

Le conte peut avoir également une fonction contenante (Gutfreind, 2002 ; Picard, 2002). Selon Bion, le conte de par sa structure, transforme les éléments destructeurs (difficiles à penser) en traces organisatrices et fonctionne comme un appareil à penser "Le conte transforme des affects non pensés parce que destructeurs, en représentations tolérables, figurables" (Picard, 2002). Lorsque le dispositif thérapeutique est groupal, le groupe peut également servir de contenant (constitution d'un récit commun à partir de chacun).

Le conte relie l'enfant à sa généalogie, parce qu'il réfère à des mythes fondateurs et qu'il met en scène tout particulièrement ses parents.

Il est porteur d'espoir car finalement tout finit bien. Le conte détient une fonction apaisante dans la mesure où il fournit à ses auditeurs un modèle efficace de gestion de ses conflits internes surtout inconscients.

Le conte est comme une "errance organisée" qui confronte pour faire semblant l'auditeur à des peurs archaïques, mais en le guidant vers un point de retournement finalement positif. En ce sens, il revêt une fonction de réparation en permettant de sortir du chaos et de donner du sens.

Enfin, il est bien sûr important de penser l'atelier conte afin qu'il ait des vertus thérapeutiques. Pour Lafforgue (Monzani, 2005) par exemple, des conditions spécifiques doivent être mises en place sur le plan de sa technicité et du cadre (aménagement spatial comme un théâtre, un observateur "gardien du cadre", des indicateurs sonores marquant les différents temps de l'atelier...).

Je trouve cet outil de médiation thérapeutique très pertinent et puissant même si je n'ai pas encore eu l'occasion de le mettre en pratique. Cet article m'ouvre des perspectives de réalisation.


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