Nous entendons régulièrement parler d'ateliers de soin psychique ou de développement personnel faisant appel à des objets de médiation. De quoi s'agit-il ? Cela s'adresse à qui ? Pour quoi faire ? Comment comprendre les processus psychiques à l'oeuvre ?...
Définition des médiations thérapeutiques
Il s'agit de dispositifs de soin organisés en même temps autour d'un objet médiateur et d'un clinicien, qui présente au sujet cet objet médiateur, comme matière à symbolisation (qui permet de représenter, de donner forme, via des symboles).
Les médiations thérapeutiques peuvent être utilisées en groupe ou en individuel. Elles ont connu un essor très important sur ces deux dernières décennies notamment pour du soin psychique au sein d'institutions.
Ces médiations ont recours généralement à de la matière provenant du monde des arts (terre, peinture, écriture, modelage, théâtre, conte, marionnettes...), de la nature (sable, eau, cheval...) ou encore d'objets techniques (jeu vidéo).
Il s'agit d'utiliser cette matière pour médiatiser la relation entre la personne et le thérapeute et en la personne en elle-même. La médiation ouvre effectivement à ce qui est intersubjectif (entre moi et l'autre), intra-subjectif (entre les différentes parties de moi) et trans-subjectif (entre moi et le contexte social partagé). L'objet médiateur intervient à la fois comme modulateur de distance entre la personne et le thérapeute et comme créateur de possibilités de liaisons internes au sujet entre ses traces d'expériences (perceptions, affects...) et ses représentations. Il va pouvoir mobiliser la créativité du sujet. Ces médiations sont mobilisées pour contribuer à un travail d'élaboration psychique et à la subjectivation (le fait de devenir sujet).
Enfin, elles sont particulièrement intéressantes pour travailler avec des personnes traumatisées ou qui sont en grande souffrance (narcissique-identitaire, psychoses, autismes...) et qui ont du mal à mettre en mots ou en images leurs souffrances autrement dit qui sont en difficulté de symbolisation. Il est alors nécessaire de trouver des modalités de travail qui permettent de soutenir ce travail de mise en images ou en mots par le biais d'un médiateur.
Quelques références théoriques éclairantes
Pour Marion Milner (psychanalyste), l'enfant en psychothérapie a recours aux jouets, aux objets ou à des matériaux, comme l'artiste utilise un medium malléable. Elle définit ce dernier comme une substance malléable à laquelle le sujet peut faire prendre la forme de ses fantasmes. Ainsi, le médium malléable est à la fois une utilisation possible de la matière et une modalité d'utilisation du thérapeute. Pour René Roussillon (psychanalyste et professeur de psychologie clinique et psychopathologie), M. Milner a introduit l'idée d'un objet médiateur qui par sa mise en forme par le sujet lui permet de matérialiser sa problématique interne. Pour lui, le medium malléable est d'abord une fonction de la relation première du bébé à ses parents, capables de s'ajuster à ses besoins et de lui refléter quelque chose de lui-même, formant ainsi un environnement "suffisamment bon" en référence à Winnicott. Le medium malléable renvoie secondairement aux objets présentés par les parents à l'enfant avec lesquels il va jouer, ce qui lui permettra d'intégrer dans sa vie psychique ses expériences agréables ou désagréables. C'est pourquoi l'on peut dire que les dispositifs de médiation thérapeutiques sont organisés autour d'un "medium malléable" combinant à la fois objet médiateur et thérapeute aidant à la symbolisation.
D.W. Winnicott (Jeu et réalité, 1971) a théorisé les concepts d'objet transitionnel, de phénomènes transitionnels et d'aire transitionnelle. Il a conceptualisé la façon dont l'enfant passe d'un état d'indifférenciation avec sa mère à celui où il devient un être séparé via l'objet transitionnel (doudou, ours en peluche). Il a également développé une conception du jeu comme une activité de communication qui ne se situe ni dedans, ni dehors l'individu. Lorsque l'environnement maternel est suffisamment bon, un espace transitionnel va pouvoir se développer qui est une aire intermédiaire d'expérience qui se situe entre le subjectif (proche de l'hallucination) et ce qui est objectivement perçu (la réalité effective ou partagée), et qui génère des processus transitionnels. Dans un jeu créatif, l'enfant entre dans une aire intermédiaire d'expérience, où il rassemble des objets appartenant à la réalité extérieure et les met au service de ce qu'il a pu prélever de sa réalité interne. On peut dire que les dispositifs de médiation thérapeutique peuvent constituer une aire intermédiaire d'expérience de jeu au sens de Winnicott en favorisant la mise en place d'une formation intermédiaire dedans/dehors-Moi/Non-moi et un travail de symbolisation. La prise de conscience progressive d'éléments de la vie psychique inconsciente peut se faire.
Enfin pour A. Brun (professeur de psychopathologie et psychologie clinique, psychanalyste), les dispositifs thérapeutiques à médiation sont particulièrement adaptés aux formes de pathologie lourdes (autisme, psychose,...) où le sujet est en grande difficulté pour accéder aux processus de symbolisation. Ces dispositifs leur permettent de mettre en ouvre des processus de symbolisation spécifiques par l'engagement d'une associativité sensorimotrice face au medium. En effet, le médium sensoriel mobilise une mémoire perceptive, des traces perceptives d'expériences archaïques (composées de traces sensori-affectivo-motrices) non encore symbolisées. Les sensations procurées au contact du médium dans ce contexte réactivent ces traces d'expériences très traumatiques sous forme de sensations hallucinées qui vont prendre forme dans l'objet médiateur, devenir figurables et transformables.
Les processus psychiques à l'oeuvre
La relation aux autres, aux choses, donne matière à penser, à symboliser. Pour pouvoir se déployer, les processus de symbolisation vont avoir besoin de rencontrer une matérialité qui leur résiste. Pour se développer, la vie psychique a besoin de réguler ses échanges internes via des relais qu'elle trouve au-dehors.
Les dispositifs à médiation thérapeutique permettent ainsi de venir représenter des éléments psychiques internes. Ce faisant, ils deviennent visibles, pour l'individu et les autres personnes présentes. Il est alors possible à partir de là de venir mettre des mots sur des vécus, des ressentis. Le travail de la médiation est un travail de transformation du symbole, à travers la mise en représentation.
Les médiations favorisent l'accès à la représentation du monde interne inconscient avec la possibilité de venir ajouter du dire et ainsi, engager un travail d'élaboration de l'histoire du sujet, parfois histoire traumatique. Ces dispositifs peuvent participer d'une amorce de reconstruction narcissique, pour une possible reprise du lien, du sujet avec des parts de lui-même (en les intégrant), et aussi avec son environnement.
Support à la créativité, l'objet médiateur facilite le passage de niveaux émotionnels profonds à travers des possibilités d'appropriation et de transformation qui sont aussi bien individuelles que groupales.
Les médiations thérapeutiques trouvent leur sens lorsque l'intégration d'expériences douloureuses n'a pas pu se faire de par la réponse de l'environnement en son temps qui n'a pas été suffisamment adéquate. Un dispositif de soin suffisamment sécurisant peut aider le sujet à relâcher les défenses qu'il a du mettre en place pour lutter contre le retour d'expériences traumatiques et à remettre en jeu ces dernières. Les dispositifs à médiation thérapeutique proposent un objet médiateur capable de provoquer le retour d'expériences non intégrées, de les loger dans sa matière et de les explorer en leur donnant une forme de symbolisation.
