Fabienne MOTTO EI
Psychologue à Meyzieu

« Tu ne peux pas arrêter d’être »


Dans une perspective de transmission, je réalise actuellement une série d’interviews auprès de personnes rencontrées durant mon parcours de formation dans l'Approche Centrée sur la Personne (ACP). Médecin addictologue et psychopraticienne, Anne-Violaine Dewost exerce la psychothérapie en cabinet. Elle a accepté de témoigner sur ce que l’ACP représente pour elle, sa rencontre avec cette approche, ce qu’elle a pu ou continue de lui apporter.

Les conditions de sa rencontre avec l'ACP ?

En tant que médecin généraliste addictologue, je travaillais dans un centre d’addictologie et j’exerçais déjà un métier d’écoute des personnes qui venaient me consulter. L’évolution de mon activité m’avait amenée progressivement à m’interroger sur la suite que je souhaitais lui donner et surtout sur la nécessité d’approfondir ma capacité d’écoute. Mes études de médecine m’avaient davantage formée à observer, poser un diagnostic et traiter ; moins à écouter.  Or, en addictologie l’écoute est essentielle. Des outils comme la TCC et l’Entretien motivationnel qui sont les piliers de l’addictologie m’avaient déjà bien aidée à être au plus proche du vécu des patients.

Mais j’avais repéré qu’il y avait des endroits où je ne pouvais pas écouter, que mon écoute était parfois étriquée et que je ne parvenais pas toujours à rejoindre le patient dans sa réalité intérieure ; je ressentais le besoin d’élargir ma capacité d’écoute, d’approfondir cette voie d’accompagnement plus psychothérapeutique dont je m’apercevais qu’elle constituait un chemin de mieux être certain, pour le patient.

J’ai donc entrepris de chercher comment me former. J’ai discuté avec diverses personnes dont des collègues psychologues. L’une d’entre elles, dont la pratique me parlait bien, m’a proposé un jour de lire un article de Carl Rogers. Ce n’était pas par hasard, sans doute avait-elle senti dans nos discussions que l’ACP pourrait me convenir. Quand j’ai lu cet article, cela a été comme une rencontre :  une évidence, une impression de déjà connu. J’ai eu comme la sensation de rencontrer Carl Rogers et d’avoir le même langage. C’était tout moi ça ! Ma façon d’être avec les personnes, de croire en la personne… Une révélation. Comme une main se glisse dans un gant à sa taille ! Cela a tout de suite fait écho en moi. Je me suis renseignée sur les organismes de formation à l’ACP. Je suis tombée sur ACP Formations. C’était parfait pour moi car à Paris et proche de mon lieu de résidence. Voilà ma découverte de l’ACP.

Quand tu dis qu'il y avait des endroits où tu ne pouvais pas écouter, peux-tu préciser ?

Dans mon travail de médecin addictologue, je faisais beaucoup de psychothérapie. Et je me rendais compte que j’étais parfois limitée dans mon écoute. C’était plus facile avec certaines personnes que d’autres. Il y avait parfois certaines choses difficiles à entendre. J’avais besoin d’être plus aidante, besoin d’élargir mes capacités. Cela rejoignait autre chose : je souhaitais être thérapeute aussi. J’avais fait un parcours en coaching à ce moment-là, qui s’appelait « Projet de vie » et ce qui s’était dessiné, en bilan, était que j’avais envie d’être psychothérapeute. Pour moi, ce sont les mêmes métiers avec des postures différentes ; le commun étant : être là pour l’autre, le comprendre, l’accueillir là où il en est. L’addiction est le sommet de l’iceberg ; dessous il y a bien d’autres choses à explorer et à soigner. J’avais à cœur d’aller écouter ces endroits-là. Il me fallait me former et travailler sur moi.

Et après ?

J’ai enchaîné les trois modules de formation d’ACP Formations, M1, M2 et M3. Ces quatre années ont été formidables. J’ai beaucoup aimé. Apprendre par l’expérience plus que par la théorie. Cela m’a totalement convenu. J’ai beaucoup travaillé mes écrits. J’ai fait un travail de psychopraticienne très approfondi. Quand j’ai été certifiée, j’ai loué un local pour une journée au départ parallèlement à mon activité au centre d’addictologie. Puis, j’ai pris un autre poste  en 2017, à l’hôpital de Versailles où j’ai continué mon travail en institution et en équipe (trois jours) et ai développé une activité en cabinet libéral de psychopraticienne ACP (deux jours) en m’appropriant un cabinet personnel.

L’ACP est très présente dans mes deux pratiques. En addictologie, je me suis formée à la TCC (Thérapie comportementales et cognitives), à l’Entretien motivationnel comme je le disais, à l’hypnose (Thérapie d’activation de la conscience), à la compréhension des liens entre psycho traumatismes et addictions etc… Ce sont de bons outils !

Mais je fais l’expérience chaque jour que l’ACP est le socle de toute relation thérapeutique. Je le vis en tant que médecin et d’autant plus en tant que psychopraticienne. En thérapie, avec mes clients, les trois attitudes (l’empathie, le regard positif inconditionnel, la congruence) sont des fondamentaux. Ça marche ! Je m’aperçois que quand c’est un peu plus compliqué, un de mes axes est de travailler ma présence à l’autre et de l’offrir.

Comme un levier ?

Quelquefois ça suffit. Par exemple, je peux être fatiguée… et me demander ce que je vais offrir à ce client ? Le fait de conscientiser ma présence à l’autre, de mieux situer où je suis, m’aide beaucoup et je me rends compte que c’est facilitant pour le client.

… Vers la mise en place d’un groupe de rencontre

Depuis un an, j’ai monté un groupe de rencontre à l’hôpital, dans le CSAPA (Centre de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie) dont je suis médecin réfèrent. Je voulais faire ça depuis longtemps. Mais j’avais besoin de trouver une deuxième personne pour faciliter en binôme. J’ai trouvé l’année passée un collègue avec lequel il a fallu s’accorder. Nous avons ouvert ce groupe pour nos patients. C’est très beau ce qui se passe.

Dans un centre d’addictologie, tout est axé sur l’addiction. Les personnes sont comme saucissonnées : consultations avec le médecin, le psychologue, l’assistante sociale, l’infirmière etc… Elles se voient proposer la participation à des groupes sur des thèmes bien particuliers.

Souvent je me disais que les patients manquaient de travailler la relation à l’autre et leur pouvoir d’être. Cela me taraudait. Proposer un groupe de rencontre était un projet ambitieux qui devait être accueilli par l’équipe. L’enjeu était de taille pour moi : il s’agissait de mettre l’étiquette « d’usager » de côté et de proposer aux participants de s’essayer à être soi-même tout simplement, de s’engager dans une expérience : s’éprouver comme personne, travailler sa place dans le groupe, sa personne, pouvoir parler, oser, être authentique, travailler son écoute… je suis très contente de ça. Cela porte des fruits !

(Silence)

Comment as-tu fait avec ton collègue pour t’accorder ?

Je le sentais en tant que personne… nous avions souvent des discussions par rapport à nos suivis, quelque chose de proche en termes de posture. Je lui ai parlé du projet, lui ai passé le livre de Carl Rogers, sur les groupes de rencontre ; il ne l’a pas lu ! Et puis j’ai travaillé ce projet en supervision. Nous avons accordé nos violons. Lui travaillait beaucoup selon la psychoéducation, il a dû se mettre au pas. Je pense que ça l’intéresse et qu’il en tire des bénéfices aussi.

… un vrai plus ? Cela te met vraiment en joie ? Qu’est-ce qui se passe là ?

Il y a plein de choses. Je pense que c’est un lieu où les personnes peuvent construire leur dignité, ce qu’ils sont, ils peuvent essayer d’être eux-mêmes sans les codes sociaux, sans l’étiquette d’alcoolodépendant, ni d’addicte… ça me tenait à cœur éthiquement et en tant que croyante. J’avais envie de leur offrir ça. Que les personnes puissent se regarder, se reconnaître, se vivre. Même si c’est parfois difficile, le groupe de rencontre est d’une puissance incroyable pour cela.

Ça apporte vraiment une autre dimension ?

Oui. Pour moi, comme psychopraticienne, même à l’intérieur de moi ça grandit. Le suivi en individuel reste essentiel. Dans la problématique de la personne, son chemin, il y a là, dans le groupe, quelque chose de plus grand, qui peut se jouer, de plus crucial.

La pâte humaine, la dimension humaine, la dimension spirituelle ?

Le groupe de rencontre permet à chacun de travailler son écoute. Il facilite et rend compétent en termes d’écoute et d’ancrage en soi ; toutes les dimensions jouent.

Quatre, cinq personnes … il y a comme une démultiplication avec le groupe de rencontre

Oui. Il dure 1 h 30, huit personnes maximum, plus nous deux. On a été jusqu’à sept participants. C’est un groupe ouvert. Nous avons vu de belles choses, certains sortent d’eux-mêmes, des processus sont facilités.

… en lien avec le travail réalisé par ailleurs ? Potentialisation du travail réalisé en individuel ?

Oui, le groupe peut en effet réactiver des traumatismes. Nous faisons attention aux personnes intégrées. Toutes ces personnes sont accompagnées en individuel.

C’est chouette, motivant pour moi d’entendre tout cela.

Dans mon équipe, il y a des collègues qui utilisent différents outils et de temps en temps, je pourrais me laisser séduire par certaines pratiques me disant que je devrais peut-être faire un peu de ci ou de ça… en fait non. C’est trop directif pour moi. Je prends des outils à droite et à gauche…et l’ACP est d’abord première.

ACP comme socle, outils pouvant se rajouter… Tu as l’air d’hésiter ?

Je pense à cette croyance que l’outil « ferait » la thérapie. Des collègues sont pas mal dans cette idée. Et non ! Je reste fidèle par conviction et surtout par expérience à l’ACP.

Tu l'as éprouvé.

Complètement.

... et l'ouverture sur d'autres pratiques professionnelles

Cette formation ACP t’a amenée à mettre en place d’autres réalisations après professionnellement ?

Oui. Je suis médecin thérapeute. Les patients s’aperçoivent que je n’ai pas la même écoute que d’autres. A l’hôpital, je garde certaines personnes en thérapie car j’ai un bon lien avec elles. Cela diffuse, cela habite tout ma personne. Même en tant que médecin, je reste avec ce socle d’écoute.

Au cabinet, je ne suis « que » psychopraticienne. Là je ne fais que ça. C’est annoncé comme tel. Je ne mélange pas. Sinon il y a confusion des espaces, possible.

C’est assez clair pour toi au départ ?

Oui, aujourd’hui oui. En revanche, pendant tout ma formation ACP, je m’interrogeais sur ce que j’allais faire, médecin ou psychopraticienne ? Ce ne sont pas les mêmes casquettes. En formation, j’ai pu entendre des réflexions par rapport au médecin, selon lesquelles ils n’étaient pas forcément bien vus. Ces personnes fréquentaient les médecines parallèles ou douces ou… Ca a infiltré une forme de croyance que le médecin n’était pas génial … c’est ce que j’entendais. Comme si ce n’était pas compatible. Certaines personnes traitaient des maladies graves avec des moyens naturels. Y a des limites à ça. Ca donne une espèce de pensée commune qui flotte… C’était un peu ce que j’entendais. Je me suis posée la question, remise en cause, j’ai fait la part des choses entre différentes approches médicinales, j’ai pris du recul par rapport aux personnes qui parlaient comme ça.

Comme un clivage entre médecin et psychopraticienne ?

Plutôt, au fond qui suis-je ? Qu’est-ce qui fait que je suis médecin ou psychopraticienne ? Questionnement personnel. J’ai résolu cette question en réalisant que j’étais les deux ; au lieu de vouloir me couper en deux, je me suis unifiée. Cela m’a énormément enrichie. Cela permet de disséminer l’approche. Autre point de vue, autre façon de parler des patients.

Une autre attitude avec les collègues aussi ?

Ca c’est sûr ! J’ai 20 personnes dans mon équipe. L’ACP m’a énormément aidée pour mettre en place l’équipe, pour faciliter le travail en équipe pluridisciplinaire, faciliter les échanges cliniques et permettre que chaque professionnel prenne sa place.

C’est un groupe de rencontre en fait… ça c’est sûr.

… C’est vraiment venu s’instiller de partout.

Oui. Même dans mes relations personnelles, dans d’autres groupes de réflexion, partout. C’est une façon d’être en fait. Tu ne peux pas arrêter d’être !

Cela me renvoie à l’impression que tu vis cette approche partout.

Oui, c’est juste.

Tu voulais ajouter autre chose ?

Là comme ça… Non. Je ne sais pas s’il faut le mettre dans l’article. L’Approche rejoint aussi ma foi chrétienne ; il y a une espèce d’évidence. Le Christ n’a pas fait autre chose que du Rogers ou plutôt l’inverse (rires) ! Il y a quelque chose de ça.  Aller à la rencontre de l’autre, comprendre sans juger ce qui se passe chez l’autre, écouter le besoin qu’il a et être dans la relation.

Une relation vivante ?

Oui.

Bon. Pour moi il y a vraiment quelque chose de vivant et de joyeux dans ton témoignage. Merci à toi.


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