Fabienne MOTTO EI
Psychologue à Meyzieu
Fabienne MOTTO EI
Psychologue à Meyzieu

Qu'est-ce qu'une addiction ?


N'avons-nous pas tous recours à des comportements addictifs quant on est perturbé par des événements internes ou externes ?  Quand l'on est contrarié, préoccupé, que nos problèmes dépassent notre capacité interne à gérer les conflits, on peut se surprendre à avoir envie de manger davantage, à avoir envie de sucré, à vouloir prendre des médicaments, à avoir envie de fumer, de boire... tous ces comportements visent à atténuer notre souffrance psychique. C'est pourquoi l'on peut se demander parfois si l'on n'est pas addict... Seulement, on parle d'addiction quant le recours à la conduite addictive devient le seul recours pour traiter sa douleur psychique et que l'on se coupe des relations humaines. Je vais chercher ici à définir ce qu'est l'addiction, à mieux comprendre ses mécanismes neurobiologiques, ses conséquences ainsi que le pourquoi de sa mise en place.

Vers une définition de l'addiction

Il est intéressant de voir que l'histoire du terme "addiction" s'enracine chez les romains et au Moyen-âge dans une acception juridique. En effet, chez les romains, un addictus était un esclave pour dettes. Ne pouvant s'acquitter de sa dette, il était mis à la disposition du créancier par décision juridique le temps de la régler. Au Moyen-âge, le terme renvoyait également par décision juridique à une contrainte par corps pour une dette impayée. La dimension corporelle de l'addiction apparaît au centre de l'étymologie autant chez les romains qu'au Moyen-âge. C'est la relation d'esclavage qui définit l'addiction.

Ce terme a émergé au cours des années 1970 dans la psychiatrie nord-américaine concernant les conduites de dépendance aux substances psychoactives. Si à l'époque, il fallait un produit pour parler d'addiction, le sens s'est peu à peu élargi aux addictions sans drogue, addictions dites comportementales. En effet, certains comportements peuvent avoir des effets psychotropes (action sur le psychisme), soit dans le sens d'un apaisement, soit dans celui d'une excitation.

D'un point de vue psychanalytique, le terme d'addiction recouvre :

- des formes classiques : l'alcool, la drogue ou la consommation de psychotropes, le tabac,

- les addictions comportementales : les pathologies alimentaires et notamment les troubles alimentaires compulsifs (TAC), les tentatives de suicide à répétition, le jeu pathologique, les achats compulsifs, la sexualité addictive, le travail, le sport, les conduites à risque.

On parle d'addiction quant un Sujet est obligé de recourir à un produit ou à un comportement, qui normalement procurent du plaisir et du soulagement, mais qui deviennent nuisibles. Le Sujet lutte contre cette impulsion sans pouvoir y résister.

Selon l'Inserm (Addictions. Du plaisir à la dépendance), l'addiction est une pathologie cérébrale définie par une dépendance à une substance ou à une activité, avec des conséquences délétères. Elle est basée sur la consommation répétée d'un produit (tabac, alcool, drogues...) ou la pratique anormalement excessive d'un comportement (jeux, temps sur les réseaux sociaux...) qui conduit à : une perte de contrôle du niveau de consommation/pratique, une modification de l'équilibre émotionnel, des troubles d'ordre médical, des perturbations de la vie personnelle, professionnelle et sociale.

Selon l'Office français des dépendances et toxicomanies (OFDT), 8 % de la population adulte aurait un risque chronique d'addiction à l'alcool et un quart (27  %) une addiction au tabac. La dépendance au cannabis concernerait 7 % des adolescents de 17 ans et 3 % des 18-64 ans. L'usage régulier de la cocaïne, freebase ou crack, concernerait 1,6 % des adultes français.

Approche neurobiologique de l'addiction

Selon l'Inserm, l'installation d'une addiction implique trois stades successifs :

- la recherche de plaisir : elle résulte de l'activation du circuit cérébral dit de la récompense par la substance consommée ou la pratique réalisée. Ce circuit dépend de la dopamine dans le noyau accumbens. Lorsque l'on fait une action positive ou plaisante pour l'organisme, cela déclenche la sécrétion accrue de dopamine dans le cerveau, assorti d'une sensation de plaisir. La répétition de la pratique addictive conditionne la personne à l'image d'un apprentissage pavlovien et des décharges de dopamine vont peu à peu être libérées par anticipation, prédisant l'arrivée de la récompense. La répétition de la situation (environnement ou état mental) associée à la pratique addictive favorise alors une nouvelle consommation. D'autres systèmes de neurotransmmission sont modifiés en parallèle (sérotonine et récepteur aux endorphines). La production naturelle d'endorphines diminue et le plaisir n'est plus obtenu que par l'apport de la pratique addictive.

- un état émotionnel négatif : le taux de dopamine libéré à chaque consommation ou pratique diminue progressivement, ce qui rend le circuit de la récompense bien moins sensible à ce qui le stimule habituellement. De plus, les décharges répétées de dopamine ont tendance à rendre l'individu plus stressé, avec des émotions plus négatives (modification du fonctionnement de l'amygdale cérébrale). Seul un accroissement de la dose de substance consommée ou du temps de pratique peut satisfaire le circuit de la récompense et soulager les émotions négatives.

- la perte de contrôle (ou craving) : c'est la modification des processus contrôlés par le cortex préfrontal liée à l'altération des circuits de la récompense et des émotions. A savoir, les capacités d'autorégulation, de la prise de décision ou de la capacité à résister au envies de consommer. Malgré le désir sincère de stopper la pratique addictive, le Sujet n'y parvient pas.

Les conséquences de l'addiction dans le temps ?

Les addictions ont des conséquences multiples (médicales, comportementales, sociales) dont l'issue peut être sévère et parfois tragique.

A court terme, l'usage excessif d'une substance addictive peut entraîner un risque vital immédiat (overdose, coma éthylique). De même, conduire sous l'influence d'une substance psychoactive (alcool, drogue) augmente considérablement le risque d'accident mortel.

Lorsque la pratique addictive envahit la vie quotidienne du Sujet, il y a bien sûr des répercussions négatives sur les liens familiaux, amicaux et professionnels. Il y a donc un risque progressif d'isolement, de déscolarisation, de perte d'emploi... voire de marginalisation.

Enfin, les addictions ont des effets médicaux, psychologiques et psychiatriques sur le long terme. Peuvent apparaître de l'anxiété, des troubles de la mémoire, de l'attention, des défaillances dans la résolution de problèmes. Certaines addictions favorisent le développement de maladies : cancers associés à la consommation d'alcool et de tabac, risque cardiovasculaire avec le tabac, troubles neurologiques et psychiatriques chez les consommateurs réguliers de drogues illicites, risque de contamination par le VIH, VHB ou VHC, chez les consommateurs de drogues injectables...

Il est important de préciser que le tabac et l'alcool sont les deux principales causes de mortalité prématurée en France et qu'ils constituent à ce titre un enjeu de santé publique. Or ce sont des problèmes d'addictions qui commencent à l'adolescence. Selon l'article de l'Inserm susnommé, "Ainsi, commencer à consommer de l'alcool au début de l'adolescence multiplie par dix le risque de devenir alcoolo-dépendant à l'âge adulte, par rapport à une initiation plus tardive vers l'âge de 20 ans". En effet, la consommation d'alcool ou de cannabis à l'adolescence a des effets sur le cerveau. Le cerveau en pleine période de maturation paraît plus vulnérable aux effets toxiques. Enfin, une addiction chronique au cannabis chez les jeunes ayant une vulnérabilité psychique (anxiété, trouble de la personnalité), peut générer des épisodes psychotiques.

Pourquoi avoir recours à une pratique addictive ?

Selon l'approche psychodynamique (psychanalytique), l'addiction est une réponse psychosomatique à une douleur psychique. La douleur psychique est déplacée sur le registre des besoins. Le comportement addictif à une fonction analgésique.

L'addiction s'organise à l'adolescence, au moment où se pose la question des processus de séparation et d'individuation, avec notamment l'avènement de la poussée pubertaire, second temps qui remanie un temps plus archaïque qui renvoie aux premières relations entre le bébé et son environnement qui aurait été défaillant (carence ou excès).

Dans cette conception, l'addiction est envisagée comme un court-circuitage de l'affect. Joyce Mac Dougall, psychanalyste, a proposé le concept très intéressant de désaffectation. Pour elle, le comportement addictif correspondrait à une façon de mettre un écran protecteur entre soi et son expérience affective quelle qu'elle soit (angoisse, colère, tristesse,... sentiments qui font souffrir mais aussi agréables, vécus inconsciemment comme dangereux, trop débordants). Les manifestations somatiques de l'émotion sont présentes mais le Sujet ne peut les communiquer, les reconnaître. Il ne peut éprouver l'affect. C'est l'opération de transmutation de la sensation corporelle en émotion qui n'a pas pu se mettre en place dans l'histoire du Sujet.

L'addiction serait une façon de tenter de maîtriser l'affect menaçant, un processus défensif inconscient par rapport à des vécus d'ordre traumatique (expériences précoces violentes, car menaçant le sentiment d'intégrité, d'identité). La désaffectation permettrait de se défendre du retour d'expérience de néantisation, irreprésentables, indicibles. Cette éjection de l'affect s'associe à un sentiment de vide. En effet, en se désaffectant, le Sujet se coupe en même temps d'une grande partie de sa réalité interne.

Pour Joyce Mac Dougall, face à tout risque de débordement affectif, il s'agit de décharger au plus vite les tensions, c'est un acte qui court-circuite la symbolisation (mise en images, en mots). L'affect est dispersé dans l'acte qui devient symptôme. Dans l'impossibilité d'éprouver et de penser les émotions, le corps dans l'acte symptôme vient exprimer les pensées et les affects. A titre d'exemples, le travail peut être consommé comme une drogue. Ou encore, du côté de l'anorexie, il y a l'addiction au mouvement, au vélo, à la marche, au sport.

Mais comment peut-on comprendre cette éjection inconsciente de l'affect ? René Roussillon (La dépendance primitive et l'homosexualité primaire en double), éclaire les travaux de Joyce Mac Dougall en les approfondissant. Selon lui, il y aurait une défaillance dans l'accordage affectif primordial entre le bébé et son environnement. Dans la problématique addictive, les sensations n'auraient pas été liées aux émotions durant les accordages. Pour que l'affect de plaisir puisse être éprouvé comme tel par le bébé, la mère doit refléter son plaisir à s'occuper de lui. Ceci permet alors à l'affect de se composer, de se qualifier (au sens de construire des représentants psychiques) et d'être éprouvé. Sinon, il reste inconscient, il ne peut devenir conscient, il ne peut être éprouvé. Il reste à l'état potentiel.

Ainsi au moment des interrelations précoces entre le bébé et son environnement, la constitution du soi somatique (le corps érotique) serait défectueuse, et se manifesterait par un clivage entre le corps et la psyché. Dans la problématique addictive, cette transmission "corps à corps" serait marquée par un investissement maternel en carence ou en excès, entravant la constitution de l'auto-érostime et de l'intériorisation d'une image maternelle suffisamment sécurisante, consolante, contenante. Sans la présence en soi de ce type de fonction maternante, le lien affectif à l'autre est menaçant et crée de la dépendance à la présence concrète de l'autre.

Dans cette conception, l'addiction correspond à un refus de la dépendance à l'autre, à une défense contre la dépendance affective qui est perçue comme une menace pour l'identité. Le Sujet va utiliser un support externe (produit, pratique) pour réguler son état interne en souffrance (sentiment de vide, de mort intérieure, de douleur...). L'addiction pour Joyce Mac Dougall est une tentative de survie psychique pour colmater une angoisse archaïque de perte de l'objet primaire (mère). En ayant l'objet ou la pratique addictive sous la main, le Sujet se protège de l'angoisse de séparation.

L'accompagnement psychothérapeutique va chercher à mobiliser et à rendre supportable un désir de lien à l'objet sans le recours à l'addiction. Il s'agit essentiellement de restaurer les assises narcissiques, en travaillant à restaurer l'activité de représentation, le plaisir de penser, la capacité à éprouver et nommer ses affects. Il paraît également important d'aménager de la distance, de l'espace, dans la relation thérapeutique en intégrant un tiers différenciateur (référent institutionnel, ateliers de médiation, psychodrame, ...) afin que la personne ne se retrouve pas en danger dans une relation uniquement duelle.


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