La supervision en psychothérapie : plurielle et professionnalisante
Ma pratique en tant que psychothérapeute est supervisée depuis la fin de ma formation dans l'ACP (Approche Centrée sur la Personne). Elle a perduré de façon naturelle parallèlement à mes activités tant en cabinet qu'en institution. Même si je sens bien avoir développé ce que je vais appeler "mon superviseur interne", cette position méta qui m'aide à observer ma pratique et à prendre du recul vis-à-vis d'elle, la supervision par un professionnel se poursuit, elle fait partie de ma pratique professionnelle et je ne me verrais pas faire autrement aujourd'hui. Lors de lectures sur internet ou de discussions avec des collègues (psychiatres, psychologues...), j'ai été frappée par l'usage de ce terme pour qualifier des activités qui m'évoquaient davantage de l'analyse de la pratique ou de l'intervision... J'en ai déduit que nous ne mettions pas tous le même sens sous ce terme et j'ai eu envie de creuser le sujet. Je vous partage le fruit de mes recherches et de mes réflexions.
Histoire contrastée de la supervision psychothérapeutique en France
Les origines de la supervision psychothérapeutique en France sont hétérogènes selon les auteurs trouvés.
Pour certains (Thiébaud, Van Kessel), elle est issue de la pratique psychanalytique au début du XXe siècle et des "case-work" (étude de cas ou travail social individualisé dans les pays anglo-saxons, fin XIXe) qui se sont développés en France après la seconde guerre mondiale. Ces deux auteurs ajoutent une autre source : les groupes Balint. Michael Balint, médecin psychanalyste hongrois, a proposé dans les années 1950, des groupes d'une dizaine de médecins, qui ont porté son nom. L'objectif était de leur permettre d'analyser leurs relations avec leurs patients et de bénéficier des ressources psycho-sociales présentes. Il s'agissait d'un espace clinique de réflexion et de formation.
Pour d'autres (Joly, Michel & De Roten), la supervision naît essentiellement avec la psychanalyse au début du XXe siècle, notamment sous l'impulsion de Freud et de ses disciples. Le besoin d'échanger, de partager avec des pairs, sur ce que fait vivre l'analyse à chacun, apparaît tout d'abord sous une forme informelle. Puis, la supervision revêt une forme institutionnalisée avec la mise en place de l'Analyse de contrôle (Eitingon, 1922). Eitingon formalise un modèle de base à la formation des analystes reposant sur trois piliers : l'analyse personnelle, l'enseignement théorique dans un institut de psychanalyse et la supervision de la pratique à travers une analyse de contrôle auprès d’un pair plus expérimenté. La supervision au-delà d'un soutien collectif entre pairs s'étoffe d'une notion de contrôle dans le cadre de la formation des analystes.
Ce modèle très verticalisé de la supervision psychanalytique va ensuite être remis en cause dans les années 1960 et s'orienter selon Joly vers "la recherche d’une plus grande horizontalité, l’éloignement du contrôle institutionnel et, enfin, la diversification et l’élargissement très importants des pratiques.". Le terme "analyse de contrôle" est remplacé par celui de "supervision". Avec l'essor de nouveaux courants psychothérapeutiques en France : humanistes, systémiques, comportementalistes, la supervision prend de nouvelles couleurs. Selon Joly : "De nouvelles manières de pratiquer et de penser la supervision émergent ainsi. Les référentiels théoriques se multiplient et se diversifient. Les manières d’organiser la supervision évoluent également : pratique de groupe, recours à des enregistrements des séances, mises en situation, utilisation de la glace sans tain, etc."
Les psychothérapeutes aujourd'hui ont une liberté d'action bien plus grande. Ils recherchent (ou pas) un superviseur en fonction de leurs besoins. Celui-ci peut appartenir à leur obédience ou non. Tout cela peut être d'une grande richesse et aller dans le sens d'une professionnalisation des pratiques cliniques au service du Sujet.
Nous pouvons voir ici des différences notables selon les auteurs. Si pour Thiébaud et Van Kessel, la supervision trouve ses origines dans la pratique psychanalytique, les case-work et les groupes Balint, Joly opère une autre discrimination et rattache ces trois origines respectivement à trois courants bien différents (la supervision, les groupes Balint, l'analyse de la pratique professionnelle).
Ces écarts quant aux origines de la supervision semblent liés aux différences d'interprétation de ces nouvelles expériences de la fin du XIXe et du début du XXe siècles et me permettent de comprendre qu'un flou puisse régner encore aujourd'hui sur le sens même de la supervision.
Alors quelle définition de la supervision psychothérapeutique ?
Selon Wiktionnaire, le terme superviser vient de l’anglais supervise, issu lui-même du latin médiéval supervidere : formé de super : « au-dessus » et videre : « voir, remarquer, prendre des mesures pour… ».
Selon Joseph Rouzel (La supervision d'équipes en travail social, 2015), le terme de supervision est "issu du latin classique et se découpe en super, « au-dessus, du dessus, par-dessus, d’en haut », et videre, qui plonge son origine dans une racine indo-européenne : « weid » : voir, mais aussi être témoin de, constater, voir avec les yeux de l’esprit, voir par la pensée ou l’imagination, juger, examiner. En grec cette racine a donné toute une série de mots dérivant d’idea, « forme idéale concevable par la pensée » chez Platon, comme mondes des Idées au-delà des fantasmagories de la caverne, jusqu’à notre actuelle et moderne « idée »."
Autrement dit, superviser c'est voir du-dessus. La situation de supervision permet de se déplacer dans un autre espace temps que celui de la situation relationnelle qui nous pose question, de faire un pas de côté et grâce au superviseur d'analyser autrement, la situation évoquée. Pour Rouzel : "La supervision relèverait alors d’une élévation de la pensée face au « ras des pâquerettes » du quotidien". Pour moi, la supervision nous renvoie à une position méta. J'entends par là la capacité à être à la fois acteur et observateur d'une situation. La pratique régulière de la supervision consiste à acquérir la capacité à prendre du recul pour s'observer en train d'agir ou de réagir en situation, comme si nous étions nous-mêmes alors en position de tiers extérieur. Nous pouvons en faire l'apprentissage tout d'abord en décalage dans le temps, entre la situation vécue en thérapie avec un client et le temps de supervision. Puis, à force de supervision, nous pouvons développer cette capacité méta en situation, dans "l'ici et maintenant".
La supervision psychothérapeutique est un dispositif professionnel, formatif et déontologique, consistant en l'accompagnement régulier d'un professionnel du soin psychique (ou d'un professionnel en formation) par un superviseur expérimenté (praticien plus expérimenté et formé à la position de superviseur). Ils travaillent ensemble sur des situations professionnelles apportées par le "supervisé" qui lui posent question. Le superviseur appartient au même courant théorique que le supervisé ou pas.
La supervision peut avoir différentes fonctions : le développement professionnel (compétence, posture), la réflexivité (processus en jeu), la sécurisation éthique (protection du client), le soutien du thérapeute, l'évaluation. Chaque approche psychothérapeutique va mettre l'accent différemment sur ces fonctions. Les fondements, les objectifs, la relation superviseur-supervisé, les méthodes et les spécificités vont également varier. L'objectif principal me paraît être d'améliorer la compétence clinique du psychothérapeute, de le soutenir, de garantir la qualité des soins et d'assurer une pratique éthique et sécurisée.
La supervision permet au supervisé d'interroger sa posture et son éprouvé en position de psychothérapeute dans sa relation à la personne accompagnée, de travailler les difficultés rencontrées dans la relation avec elle, de mieux situer des processus parallèles...
La supervision peut se dérouler en individuel et/ou en collectif. Elle est à distinguer de l'intervision qui se déroule entre pairs.
Enfin, la loi de 2010 et son décret du 7 mai 2012 impose aux psychothérapeutes non-médecins de suivre une formation incluant des stages pratiques supervisés. La supervision devient un élément clé de la formation et de la pratique professionnelle.
Supervision ou analyse de la pratique ?
M. Thiébaud ("Analyse de pratiques <-> supervision. Similitudes et différences : quelques réflexions pour aider à s’y repérer", 2020) a rédigé un article récent que je trouve très intéressant comparant la supervision et l'analyse de la pratique. Pour lui : "La supervision et l’analyse de pratiques se situent à l’intersection de l’accompagnement, de la formation et de la réflexion sur les vécus liés à des situations professionnelles". Il y met en évidence leurs diversités et la complexité pour s'y retrouver. Il cherche aussi à clarifier leur spécificité respective (définitions, caractéristiques, similitudes, différences) et propose une grille de lecture éclairante pour s'y repérer.
Pour moi, l'Analyse de la Pratique Professionnelle est bien différente de la supervision psychothérapeutique. Elle consiste à réfléchir sur sa pratique professionnelle avec des pairs dans une assemblée animée par un professionnel (psychologue du travail, formateur...) : partage des difficultés, dilemmes rencontrés dans le travail, comparaison des gestes professionnels, solutions envisageables... C'est donc un espace collectif d'élaboration de l'expérience professionnelle, d'échanges et de confrontation des pratiques professionnelles. C'est aussi un outil de professionnalisation et de renforcement des collectifs de travail.
Témoignage de ce que m'apporte la supervision psychothérapeutique
En ce qui me concerne, je travaille en supervision les situations relationnelles psychothérapeutiques qui me posent problème dans les sens suivants :
- la thérapie me semble ne pas avancer, tourner en rond,
- je ne comprends pas ce que vit la personne en thérapie, je bute sur quelque chose,
- j'ai besoin de vérifier avec mon superviseur que "je suis dans les clous", d'exposer mes doutes,
- je sens que la relation avec la personne accompagnée me trouble sans savoir exactement pourquoi (exploration avec le superviseur de ce que je pourrais avoir à travailler éventuellement en thérapie),
- je suis parasitée dans ma pratique par des sensations sans arriver seule à déterminer si elles m'appartiennent ou non,
- je n'arrive pas suffisamment à contenir un groupe de parole, que se passe-t-il ? Comment faire autrement ?
- etc...
L'espace-temps de la supervision m'est très précieux. Il me rassure. Il me permet de partager ce que je vis en position de psychothérapeute et de le déployer, de ne pas être seule à ces endroits. Il apporte de la clarification sur ce qui se passe dans le lien thérapeutique, chez le client, chez moi, dans la relation entre nous. Il me propose aussi des outils concrets.
Je sens bien aussi avec les années de pratique et de supervision qui s'accumulent, que cet espace-temps me permet de me qualifier professionnellement. Il renforce mon identité professionnelle de psychothérapeute, il "me charpente".
Références bibliographiques
Blanquet, E. (2009). Réflexions sur la pratique de la supervision en Gestalt-thérapie. Gestalt, 35, 41–56.
Cottraux, J. (2004). Formation et supervision dans les thérapies comportementales et cognitives (TCC). Psychothérapies, 24(3), 151–159.
Joly, V. (2022, 28 mars). Histoire des supervisions : De Freud à nos jours. Psy à Paris. https://psyaparis.fr/supervision-histoire/
Kilborn, M. (2005). Le cadre théorique de ma pratique de supervision en counseling. Approche centrée sur la personne. Pratique et recherche, (2), 51–56.
Michel, L., & de Roten, Y. (2009). Les mystères de la supervision à l’aune de la recherche. Psychothérapies, 29(4), 225–232.
Rouzel, J. (2007). La supervision d’équipes en travail social. Dunod.
Soubeyrand, P. (2004). Le langage centré sur les solutions dans la supervision d’équipe. Thérapie familiale, 25(4), 505–519.
Thiébaud, M. (2020). Analyse de pratiques ↔ supervision : Similitudes et différences. Quelques réflexions pour aider à s’y repérer. Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, (16), 81–103.
Van Kessel, L. (2018, 15 novembre). La supervision en France : Origine – Développement – Situation de nos jours. Portail de l’Analyse des Pratiques.