Fabienne MOTTO EI
Psychologue à Meyzieu
Fabienne MOTTO EI
Psychologue à Meyzieu

Psychopathologie au travail... quel sens ? quelles formes ?


Dans un contexte où la souffrance au travail et les troubles psychopathologiques liés au travail sont conséquents, il me semble important de donner des points de repère utiles afin que chacun puisse davantage s'y retrouver. Je vais m'intéresser ici aux différentes formes psychopathologiques que cette souffrance au travail pathogène peut prendre. Je m'appuie pour cela essentiellement sur les travaux de la psychodynamique du travail qui est une clinique du travail développée par C. Dejours dans les années 1970 et sur l'ouvrage qu'il a co-écrit avec I. Gernet (Psychopathologie du travail, 2016).

Comment définir la psychopathologie au travail ?

La psychopathologie est l'analyse psychodynamique des processus intrapsychiques (ce qui se passe à l'intérieur de l'individu) et aussi intersubjectifs (ce qui se passe dans la relation à l'autre) qui sont mobilisés par la rencontre avec le travail. En effet, on ne travaille jamais tout seul. Le travail implique toujours des rapports sociaux.

Que signifie le terme psychodynamique ? Ce terme renvoie à un jeu de forces à l'oeuvre au sein du psychisme humain en référence aux travaux de la psychanalyse.

L'organisation du travail a des effets sur le fonctionnement psychique des sujets. La souffrance est conçue comme un vécu spécifique résultant de la confrontation dynamique des sujets à l'organisation du travail. C'est le rapport subjectif mis en oeuvre par chacun face au travail qui va être analysé.

Dans le travail, chacun d'entre nous s'investit et met en oeuvre des initiatives, de l'ingéniosité, de la créativité, ce que la psychodynamique du travail appelle le travail réel. Faire l'expérience du travail c'est vivre une épreuve psychique conséquente dans la mesure où c'est se confronter à ce que l'on n'arrive pas à faire car c'est nouveau, trop compliqué voire impossible, tous les conflits (le réel du travail). Ils s'agit de faire face à quelque chose qui résiste et devant quoi il va nous falloir trouver une solution.

Dans cette conception, travailler c'est d'abord souffrir mais cette souffrance peut être transformée en plaisir quand nous parvenons à traverser les difficultés, à trouver des solutions et que notre contribution peut être reconnue par les autres. Le rapport subjectif est alors apprécié à l'aune d'un continuum entre souffrance et plaisir.

Pour faire face à cette souffrance, nous érigeons des défenses. Individuelles ou collectives, leur fonction principale est de transformer le rapport à la réalité en agissant sur notre pensée (occultation ou immobilisation de la perception de ce qui dans la réalité du travail augmente la vulnérabilité ou la souffrance). Elles peuvent se rigidifier en un déni de la souffrance.

La normalité est envisagée comme une espèce de compromis entre la souffrance inévitable et les défenses mises en place pour la supporter, à tout moment  déstabilisable. Quand ces défenses ne jouent plus leur rôle, la souffrance "normale" devient pathogène.

Le fonctionnement psychique et la vie affective sont inévitablement déstabilisés par la confrontation à l'autre et donc dans le cadre du travail. La maîtrise par le sujet des conflits insolubles auxquels il est confronté au travail peut se solder par un échec. La crise qui se déploie au niveau identitaire se manifeste alors sous la forme de symptômes psychopathologiques et ou somatiques.

Les différentes formes de décompensation au travail

(Décompensation ? Lorsque les moyens de défense habituels ne fonctionnent plus)

Comment l'épreuve du travail peut devenir pathogène et menacer la santé mentale à partir de l'élucidation du destin des processus intrapsychiques et intersubjectifs engagés dans le rapport au travail ?

La décompensation dépend de la contrainte pathogène liée à la situation de travail et au débordement des défenses. Selon Dejours et Gernet (2016), la tentative d'élucidation des causes des décompensations en psychopathologie et psychodynamique du travail ont mis en évidence parallèlement à l'effondrement des ressources défensives, des dimensions en lien avec les effets de l'introduction massive des méthodes gestionnaires sur le rapport subjectif au travail.

Les entités psychopathologiques liées aux nouvelles formes d'organisation du travail sont marquées par deux formes de manifestations symptomatologiques : les pathologies de la solitude (isolation et abrasion des ressources défensives collectives contre les effets pathogènes de la souffrance et des contraintes de travail), celles de la servitude (dans les activités de service, où l'on trouve le recours au flux tendu, à la flexibilité, et une mobilisation intersubjective avec le client ou l'usager).

Voyons les problématiques psychopathologiques liées aux nouvelles formes d'organisation du travail :

- les troubles de l'humeur : ils renvoient à des troubles dépressifs et/ou anxieux (soit 5 à 15 % de la population). Ils sont repérés à partir des conséquences de la symptomatologie dépressive entraînant un arrêt de l'activité professionnelle. La dépression concerne l'ensemble des catégories socioprofessionnelles mais sa fréquence est plus importante chez les travailleurs précaires et les chômeurs. Les symptômes ? Humeur dépressive (idées sombres, dépréciation, sentiment de culpabilité), inhibition ou ralentissement psychomoteur (fatigue, moins d'énergie, du mal à se concentrer, perte d'intérêt ou du plaisir pour les activités), enfin les signes somatiques (troubles du sommeil et de l'appétit, douleurs physiques diffuses).

- les psychoses liées au travail : rares, elles touchent moins de 1 % de la population active. Elles se manifestent par une altération des processus de pensée et des distorsions du rapport à la réalité entravant l'activité. Elles proviennent d'affections neurologiques ou de maladies ou d'agents chimiques. Les troubles psychotiques se révèlent sous la forme de décompensations psychotiques aiguës, comme des bouffées délirantes aiguës généralement de type persécutif. Ils sont générés le plus souvent par une inquiétude majeure quant à son devenir au sein de l'entreprise suite à des conflits internes ne trouvant pas d'écho favorable. Ce contexte entraîne un état d'angoisse (doute, solitude).

- les pathologies post-traumatiques : elles suivent les accidents et les agressions dont les travailleurs sont victimes dans le cadre de leur activité professionnelle (employés de banque, enseignants, conducteurs de transports en commun...). Les symptômes associent un état permanent d'angoisse (sueurs, tachycardie...), une reviviscence diurne de l'événement, des rêves traumatiques (insomnies), une irritabilité, une concentration moindre.

- la violence au travail : elle prend la forme d'agression (de collègues, de supérieurs hiérarchiques...) ou de sabotage (outil de travail). Mais en ce qui concerne le travail, la violence occupe une place particulière en tant qu'elle est indexée aux stratégies défensives au service de la protection de la santé mentale (comme dans le BTP, la police...).

- les pathologies du harcèlement : il peut s'agir de harcèlement sexuel ou moral.

Dans le premier cas, il peut prendre la forme d'insultes, de blagues sexistes, de pornographie sur le lieu de travail, d'attouchements ou d'agressions physiques. Il se caractérise par des contraintes sexuelles (gestes directs, avances sexuelles et agressions verbales). Il est à mettre dans le contexte de l'organisation du travail et des rapports de domination (hiérarchie, pouvoir).

En ce qui concerne le harcèlement moral, il renvoie à des atteintes à la personne, à sa dignité ou à son intégrité physique ou psychique et à la mise en danger de son emploi ou à l'altération du climat de travail par une conduite abusive (comportements, paroles, actes, gestes, écrits) (Hirigoyen, 1998). Tous les secteurs socioprofessionnels son touchés avec une fréquence plus importante pour le commerce, les services, la santé et les activités sociales. La décompensation se manifeste par de l'anxiété, de la dépression, des troubles du sommeil, de la fatigue, de l'hypervigilance et de l'hyperactivité au travail, un repli sur soi. Le harcèlement moral est corrélé avec des modifications des conditions et de l'organisation du travail.

- les pathologies du surcharge : avec des atteintes somatiques (TMS, Karôshi) et un syndrome mixte associant des symptômes somatiques et psychiques comme le burn-out.

Les TMS (troubles musculosquelettiques), constituent la pathologie la plus fréquente dans le milieu de travail (soit 13 % des salariés présentant des TMS des membres supérieurs en 2005). Il s'agit d'atteintes inflammatoires et douloureuses des extrémités, des tendons, des articulations et de la colonne vertébrale. Les pathologies les plus fréquentes sont : le syndrome du canal carpien, la tendinite (épaule), l'épicondylite et l'hygroma (coude), les lombalgies, dorsalgies et rachialgies (dos). Elle sont reconnues comme des maladies professionnelles.

Le karôshi : c'est un terme japonais qui signifie "la mort par excès de travail" suite à une hémorragie cérébrale ou à un infarctus du myocarde (charge de travail supérieure à 70 h / semaine).

Le syndrome d'épuisement professionnel ou burn-out : usure, épuisement, face à une demande trop importante d'énergie et de ressources au risque de se "brûler". Il présente trois caractéristiques (Maslach et Jackson, 1981 ; Canouï, 2008) : l'épuisement émotionnel, la dépersonnalisation (détachement vis-à-vis de l'autre) et la diminution de l'accomplissement personnel. Il s'exprime par des plaintes somatiques (troubles du sommeil, fatigue...) et psychiques (irritabilité, méfiance...). Pour avoir plus d'information : https://www.mottofabienne-psy.fr/blog/articles/comment-reperer-les-signes-d-un-burn-out

- l'hyperactivité et le dopage au travail : pour certains auteurs (Abraham, 199) une activité de travail intensive a pour fonction de protéger contre des troubles névrotiques (diversion par un investissement excessif dans le travail). D'autres travaux montrent l'augmentation de l'hyperactivisme professionnel depuis une dizaine d'années en France et au USA. Les addictions au travail renvoient à de la toxicomanie, de l'alcoolisme, de la dépendance avec ou sans produit (Pirlot, 2009). Les consommations seraient plus élevées chez des sujets occupant des postes à risques. D'autres travaux évoquent les pratiques de "dopage" en particulier chez les cadres en vue de faire face aux obligations professionnelles (Hautefeuille, 2008).

- les troubles du jugement et de la pensée : il s'agit de troubles cognitifs marquant la perte d'emprise sur le réel. Ils peuvent prendre la forme d'un syndrome déficitaire en secteur (troubles mnésiques, du jugement... uniquement dans le champ du travail) et d'un syndrome confusionnel (atteintes sévères des fonctions cognitives).

- les suicides et tentatives de suicide : une étude de 2004 (Gournay et al., 2004) estime le nombre de suicides liés au travail en France à trois cents par an. La vulnérabilité psychique préside au passage à l'acte. Les principaux facteurs de risques sont : traumatisme et débordement par l'angoisse, difficultés d'élaboration psychique des conflits, fragilité narcissique, externalisation du conflit (Birot et Jeammet, 1994 ; Walter, 2001).

- enfin les troubles psychopathologiques liés à la perte d'emploi et au chômage : fortement liés à l'exclusion économique et sociale. Symptômes ? Des mouvements dépressifs sous forme de troubles de l'humeur avec possiblement des troubles somatiques et du comportement (colère, agressivité). Les conséquences sont importantes sur la santé mentale en termes de perte d'estime de soi.


Derniers articles

À la une

Il était une fois... le conte

15 Avr 2024

Je poursuis mon fil sur les médiations thérapeutiques. Après les avoir précédemment définies et avoir abordé leur rôle en psychothérapie, j'ai ensuite écrit ...

À la une

Que sont les médiations thérapeutiques ?

15 Fév 2024

Nous entendons régulièrement parler d'ateliers de soin psychique ou de développement personnel faisant appel à des objets de médiation. De quoi s'agit-il ? C...

À la une

« Tu ne peux pas arrêter d’être »

15 Mai 2023

Dans une perspective de transmission, je réalise actuellement une série d’interviews auprès de personnes rencontrées durant mon parcours de formation dans l'Approche Centrée sur la Personne (ACP). ...

Catégories

Réalisation & référencement Simplébo   |   Ce site a été créé grâce à Psychologue.fr

Connexion

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'installation et l'utilisation de cookies sur votre poste, notamment à des fins d'analyse d'audience, dans le respect de notre politique de protection de votre vie privée.