Fabienne MOTTO EI
Psychologue à Meyzieu

De la nécessité des collectifs de travail


Depuis les années 2000, on constate une explosion des usages numériques. La crise de la covid19 a mis cela en exergue. En conséquence, les formes d'organisation du travail contemporain évoluent de plus en plus vers une transversalité. On voit apparaître des organisations matricielles, en projet (travail en réseau). Ceci interroge la possibilité de mettre en place ou non des collectifs de travail. Pourtant, ces derniers constituent une ressource essentielle pour la santé. L'objet de cet article est d'informer sur le sujet afin que chacun à son niveau puisse en avoir conscience et agir selon ce qui lui paraît le plus adapté dans-sur son lieu de travail.

Distinguer le collectif de travail du travail collectif

Le travail collectif correspond à l’exécution d’une tâche et surtout à la mise en place de régulations collectives d'une activité de travail (Caroly, 2010). Il doit permettre de réguler la production (atteinte de l'objectif, efficacité) et l’efficience (l'énergie mise en oeuvre dans le travail, charge de travail, effort, apprentissage, échange).

Le travail collectif peut prendre différentes formes. Les travailleurs peuvent être dans la co-action. Cela signifie que chacun réalise une action différente sur des objets différents avec des buts à court terme différents mais s'intégrant à moyen terme dans une activité commune (Caroly,  2001, p. 117). Ils peuvent également collaborer : les opérations différentes effectuées s'articulent alors sur un même objet avec un but commun à court ou moyen terme (Caroly, 2001, p. 117). La coopération consiste quant à elle en un travail commun sur un même objet visant un même but proximal (de la Garza, 1995, cité par Caroly, 2010, p. 91). Enfin, la dernière forme est celle de l'aide ou de l'entraide qui suppose d'assister un collègue qui est trop occupé ou absent autrement dit aider quelqu'un dans ses fonctions ou exécuter une action ou une opération à sa place (Caroly, 2010).

Le collectif de travail représente une autre entité qui peut s'articuler au travail collectif et le rendre plus performant. Alors de quoi s'agit-il au juste ? Il correspond à la façon dont les professionnels vont partager des règles communes pour bien vivre ensemble. Pour l’ergonomie (Caroly, 2019), il se caractérise par le partage de règles de métier et de critères sur la qualité du travail, des débats sur la réalisation d'un travail de qualité et des échanges sur les difficultés rencontrées dans le travail afin de trouver des solutions possibles pour affronter les situations critiques. Il est une construction collective implicite qui fait partie de son histoire.

Le collectif de travail peut prendre différentes formes (groupe, équipe, règles communes, réseaux) (Caroly, 2010).

Travail collectif et collectif de travail sont donc deux entités bien différentes qu'il est important de distinguer car elles sont complémentaires mais il peut y avoir l'une sans l'autre. L'articulation entre les deux via la délibération collective est un gage de santé au travail.

Les collectifs de pairs pour les cliniques du travail

Je ne vais rendre compte ici que de la psychodynamique du travail et de la clinique de l'activité. Chacune de ces cliniques du travail a développé une conceptualisation des collectifs. Elles s'accordent néanmoins sur le fait de considérer le collectif de pairs comme un opérateur de santé.

Pour la psychodynamique du travail (Dejours & Gernet, 2016) :

Pour combler les manques de l’organisation prescrite du travail, les professionnels débattent entre eux de leurs façons de faire le travail. Ces débats peuvent aboutir à la mise en place de règles qui permettent de supporter le réel, tout ce qui n'est pas prévu par le prescrit. Cette activité de construction de règles est appelée activité déontique. Ces règles forment l'armature du collectif.

A la base de la construction d'un collectif il faut de la coopération, elle doit être horizontale (entre pairs) et verticale (avec la hiérarchie). L'objectif est ici de coopérer sur le travail, en débattant de ce qui est acceptable, de ce qui ne l'est pas, de ce qui est juste ou non, pour arriver à des compromis relationnels. Ces débats supposent un espace de délibération collective au sein duquel les conditions de parole et d'écoute sont possibles.

Pour la clinique de l'activité (Clot, 2017) :

Elle considère qu'il existe un intercalaire social entre le prescrit et l'activité des professionnels. Les collectifs de professionnels procèdent à un travail de réorganisation de la tâche prescrite. Dans les milieux professionnels, il existerait des stocks d'énoncés et de techniques qui seraient "des sous-entendus de l'activité " manières de faire, de dire, qui constitueraient des ressources pour chacun.

En effet, via ces échanges collectifs, de source, le collectif de travail devient ressource de l’activité individuelle. Il migre en un « répondant » professionnel interne et équipe les travailleurs d’une gamme de marges de manœuvre pour agir face aux inattendus du réel.

Cette mémoire transpersonnelle n'est pas figée. Clot introduit la notion de style. Le style quant à lui traduit l’appropriation et la transformation du genre par chacun. Les variantes entre les styles individuels coexistant entre travailleurs qui appartiennent au même genre professionnel génèrent de nouvelles règles du genre via la dispute professionnelle.

Les collectifs : des opérateurs de santé au travail

Alors comment comprendre que ces collectifs constituent de véritables opérateurs de santé au travail ?

Pour la psychodynamique du travail, le collectif est opérateur de santé en permettant l’élaboration des difficultés rencontrées dans le travail et la construction de règles communes. La souffrance éprouvée non sublimée (transformée en plaisir) peut en effet devenir délétère pour la santé mentale de l'individu.

Pour la clinique de l'activité, le collectif de travail permet également d'élaborer les difficultés, conflits, rencontrés dans le travail, de débattre des critères de qualité du travail et de produire des règles communes. De cette façon, le sujet est amené à gagner en pouvoir d'agir c'est-à-dire à pouvoir transformer les activités empêchées rencontrées dans le réel pour agir sur son environnement et sur lui-même et faire un travail de qualité dans lequel il se reconnaisse. Dans le cas contraire, son pouvoir d'agir est empêché et sa santé menacée.

Pour chacune de ces cliniques du travail, le sujet est un être social ce qui signifie que sa santé mentale dépend à la fois de lui-même et de ses liens avec autrui. La prévention de la santé mentale au travail est donc directement liée aux collectifs de travail.

Les formes contemporaines d'organisation du travail organisent la sur-individualisation du travail à faire et des performances, l'intensification, la densification et la fragmentation du travail... comment alors penser un socle commun ? L'hyper-individualisation du travail provoque des phénomènes de déliaison qui sont sources de souffrances au travail.


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